Nous avons investi près de 100 000 euros dans des matériels de test des équipements électriques que nous fabriquons et dans une imprimante 3D. Sans la mesure fiscale de suramortissement, nous l’aurions peut-être fait, mais plus tard. Ou pas du tout… », explique Anne-Charlotte Fredenucci, qui dirige Deroure. Cette PME de Maine-et-Loire conçoit et fabrique des ­ensembles câblés, comme les commandes de vol du Rafale.

Moins connu que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), le dispositif fiscal de « suramortissement » est pourtant l’une des mesures économiques du quinquennat Hollande les plus plébiscitées par les entreprises tricolores. Depuis le 15 avril 2015, ces dernières peuvent déduire de leur résultat imposable 40 % du prix de revient de leurs « investissements productifs » : machines-outils à commandes numériques, matériel de manutention… « Pour un investissement de 100 000 euros, l’économie d’impôt est d’environ 13 000 euros [compte tenu d’un taux d’impôt sur les ­sociétés de 33,3 %] », explique François Asselin, le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). Objectif de Bercy : permettre aux entreprises d’« accélérer la modernisation de leur outil de production et de gagner en compétitivité ».

« Un déclic chez les patrons »

Mais le dispositif vit ses dernières heures. A partir du samedi 15 avril, les entreprises ne pourront plus y avoir recours, sauf si elles ont passé une commande de matériel en versant au moins 10 % d’acompte, et si elles acquièrent le bien dans les vingt-quatre mois. « Il est dommage d’arrêter une mesure qui fonctionne, alors que notre croissance économique reste poussive. Comme souvent, on fait un pas en avant, et deux en arrière », regrette M. Asselin.

De fait, depuis deux ans, l’investissement des entreprises s’est nettement redressé : il a crû de 2,7 % en 2015 et même de 4 % en 2016, un record, après + 1,4 % en 2014, selon l’Insee. Des chiffres largement dus à la bonne tenue des achats de produits manufac­turés, que l’Insee met essentiellement au crédit de la mesure de sur­amortissement, même si les taux d’intérêt bas et le redressement des marges y ont également contribué. Et si des effets d’aubaine (financement d’investissements qui auraient de toute façon été réalisés) ne peuvent être écartés.

« Le suramortissement n’explique pas à lui seul le retour de l’investissement, mais il a servi de catalyseur, dans un contexte d’embellie économique, de moindre compétitivité des concurrents allemands [en raison de hausses de salaires outre-Rhin] et de retour en grâce de l’industrie », résume Bruno Grandjean, patron de la société de machines-outils Redex et président de la Fédération des industries mécaniques (FIM). Pour les patrons de PME-ETI, moins enclins que les grands groupes à prendre le risque d’investir et de se développer, l’aspect psychologique n’est pas non plus à négliger. « Ce dispositif a généré un déclic chez les patrons, en démontrant une volonté politique de soutenir l’industrie française. A la clef, il y a un intérêt en termes de localisation de la production », et donc d’emploi, fait valoir Jean Tournoux, le délégué général du Symop, le ­Syndicat des machines et technologies de production. En 2016, les commandes de robots ont ainsi bondi de plus de 15 % en France, tandis que celles de nacelles progressaient de 40 %, selon la FIM.

« Effet prime à la casse »

Le dépit des chefs d’entreprise est d’autant plus grand qu’en juin 2016, le président François Hollande s’était engagé à prolonger la mesure jusqu’à la fin 2017. Mais, à l’automne, d’autres priorités financières lui ont été préférées, comme la baisse de l’impôt sur les sociétés. Le coût de la mesure est évalué à 500 millions d’euros en année pleine, mais l’enveloppe globale pour l’Etat atteindra à terme 2,5 millions d’euros par année d’éligibilité, compte tenu d’une durée moyenne d’amortissement de cinq ans par machine.

Bercy considère que le dispositif a atteint son but. « Il devait avoir pour effet de faire redémarrer l’investissement, il est normal qu’il ne soit que provisoire », fait-on valoir au cabinet de Michel Sapin, le ministre de l’économie, où l’on juge que le maintien du mécanisme d’acompte évite un arrêt trop brutal.

Les fédérations industrielles, comme les économistes, craignent en revanche une rechute de l’investissement dans les prochaines semaines. « On risque d’avoir un effet prime à la casse, avec un contrecoup mécanique après un surcroît de dynamique », estime Emmanuel Jessua, de l’institut de conjoncture Coe-Rexecode. Un phénomène déjà observé l’an dernier à la même période : initialement valable jusqu’en avril 2016, le suramortissement avait été in extremis prolongé d’un an. Résultat : l’investissement des entreprises avait bondi de 2,1 % au premier trimestre 2016, avant de se replier de 0,1 % aux deuxième et troisième trimestres… Pour cette année, l’Insee anticipe d’ailleurs une hausse de 0,9 % entre janvier et mars (les chiffres définitifs ne sont pas encore disponibles), puis de seulement 0,5 % sur les trois mois suivants.

Le Symop réclame la réintroduction d’« un dispositif simple et durable de suramortissement, pour aider à la modernisation industrielle ». Parmi les candidats à l’Elysée, seul François FIllon envisage de prolonger le dispositif, jusqu’en 2019. « Emmanuel Macron préfère baisser l’impôt sur les sociétés [à 25 %], mais cela s’appliquera à tout le monde, au lieu de cibler plus spécifiquement le secteur industriel, qui soutient la balance commerciale française », regrette M. Tournoux.