Autorités coutumières et religieuses, hommes politiques et intellectuels burkinabés, organisations internationales et scientifiques : le 7 mars, une centaine de personnalités étaient réunies dans la salle de conférence de Ouaga 2000, quartier huppé de la capitale burkinabée. Les visages sont tirés et les yeux fatigués ; on entendrait une mouche voler. Depuis cinq jours, ils assistent au Symposium international de Ouagadougou sur le dialogue interreligieux et interculturel. Une succession de conférences de spécialistes explorant des pistes afin de préserver et consolider la paix.

Présentation de notre série : Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme

Pour réveiller les esprits, une « animation humoristique » est proposée. Face à l’imposant pupitre où siègent les dirigeants du colloque, deux hommes montent sur scène. « Mareshal Zongo » joue un musulman, « Tao Le Sapeur » un catholique.

Tao : Vous, les musulmans, vous êtes incertains. Chez nous, les dates des cérémonies sont connues à l’avance, planifiées depuis des millénaires : Pâques, Noël, la Toussaint… Mais vous, vous n’avez pas de précision dans votre affaire. Comme vous n’avez pas de date précise, vous comptez sur la nouvelle lune donc vous êtes toujours obligés de vous battre pour chercher la lune dans une bassine d’eau, comme des enfants…
Zongo : Tu sais, la religion musulmane est une religion de suspense. C’est ça qui donne du piment à la fête. Vous là, espèces de féticheurs… Un petit menuisier de quartier prend deux morceaux de bois, un long, un court, et fabrique une croix. Vous, sans réfléchir, vous vous mettez à genoux devant en disant “Seigneur viens me sauver”. Idolâtres… Le jour où Dieu va se rendre compte que vous le laissez pour prier devant des morceaux de bois, vous allez connaître la colère de Dieu.
Tao : OK ! Et vous alors, quand vous allez à La Mecque, vous faites un footing autour de quelque chose là, c’est quoi ?

Dans l’assemblée, les corps se redressent et les éclats de rires retentissent franchement. « Les Enfants de Dieu », le sketch des humoristes ivoiriens Bernard Tao et Nestor Gole, fait réagir.

« C’est une caricature d’un conflit opposant deux religieux, chacun pensant que sa religion est meilleure que celle de l’autre, explique Nestor Gole, alias Zongo. C’est une réalité. Aujourd’hui, musulmans et catholiques ont beaucoup de reproches à se faire mais ils n’osent pas le dire. Ça crée des tensions. »

« Toujours ensemble, jamais d’accord »

« Les Enfants de Dieu » naît en 2004, deux ans après le début de la crise ivoirienne. Les deux comédiens assistent à une opposition politique et religieuse sanglante entre le sud de la Côte d’Ivoire, à majorité chrétienne, et le nord, à majorité musulmane. « Nous entendions beaucoup de discours haineux. Nous avons donc voulu faire un spectacle qui interpelle, illustrer ces discours et les caricaturer à travers ces deux personnages », poursuit Nestor Gole.

Nestor Gole, c’est la « grande gueule » du duo. Une taille imposante et de longues dreadlocks qui tranchent avec l’allure et le caractère plus discret et réservé de son partenaire. Une complémentarité dans la vie qui colle avec leur slogan sur scène : Zongo et Tao, « toujours ensemble, jamais d’accord ».

Les deux hommes se sont rencontrés en 1996 sous les projecteurs de « Dimanche Passion », une émission télé ivoirienne consacrée à l’humour. Venant tous deux du théâtre, ils y participent avec leurs troupes respectives, Djeli Théâtre pour Zongo, Bébé Gâté pour Tao. « Nous étions les VMC de nos troupes, c’est-à-dire les “Va me chercher ci ou ça”, les personnes les moins importantes. Alors nous nous sommes dit : pourquoi ne pas nous mettre ensemble et créer un duo important ? » rit Nestor Gole.

« Les Bons Voisins », « Côte d’Ivoire-Burkina, y’a quoi ? »… Vingt ans plus tard, Zongo et Tao ont une dizaine de spectacles à leur compteur et vivent de leur passion. « Les Enfants de Dieu », leur dernière production, n’est pas prête de s’essouffler. Pour coller à l’actualité de la sous-région, dominée depuis des années par la montée du terrorisme, les deux humoristes ont fait évoluer les dialogues de ce sketch. Quitte à choquer.

Tao : Vous les musulmans, vous n’êtes pas unis. Je vais te citer deux groupes. Le premier, c’est ceux qui s’habillent en boubou blanc du matin au soir comme des saints, alors qu’on sait ce qu’ils font en bas. Le deuxième, c’est ceux qui s’habillent tout en noir, on dirait des ninjas. Mais arrêtez de faire peur aux gens, de traumatiser le monde ! A cause de vous, chaque fois qu’on voit quelqu’un en boubou avec une longue barbe c’est la panique. Le monde entier n’est plus tranquille parce que vous êtes partout en train d’endeuiller de pauvres innocents pour rien !

Dans le public, certains visages se crispent. Les humoristes seraient-ils allés trop loin ? « On ne peut pas aborder un sujet aussi sensible sans qu’il y ait des gens qui s’opposent. Dans la salle, nous avons senti que des gens étaient blessés », reconnaît timidement Bernard Tao.

« Il y en a qui ne supportent pas ce qu’on fait, qui viennent nous menacer subtilement en nous disant “Attention, vous vous amusez avec ma religion”. C’est idiot, car c’est une caricature, défend Nestor Gole. Nous ne disons pas que tous les musulmans sont comme ci et tous les catholiques comme ça. Nous disons simplement que dans les rangs, il y a des radicaux qui débordent. Et il faut en parler. »

Dénoncer, informer, sensibiliser

Nestor Gole et Bernard Tao veulent faire de l’humour engagé. Dire tout haut ce que certains pensent tout bas afin de désamorcer les tensions. Depuis 2004, leur sketch a fait le tour de la sous-région, sur les planches des théâtres mais aussi dans le cadre d’opérations de sensibilisation.

Ces ateliers, organisés en partenariat avec des ONG, n’ont pas toujours été faciles à préparer. « Certaines organisations n’ont pas voulu qu’on touche au problème de cette façon. Elles préféraient qu’on propose des solutions. Mais si on ne touche pas au problème, comment peut-on trouver des solutions ? » s’interroge Nestor Gole.

Dénoncer, informer, sensibiliser. Pour le duo, l’humour ne doit pas se limiter au rire et au ridicule. Il doit être utile et faire réfléchir le public. Aussi Zongo et Tao cherchent-ils à faire encore plus voyager leurs « Enfants de Dieu » à l’étranger pour sensibiliser un maximum de spectateurs. En parallèle, le duo travaille sur un nouveau spectacle : « Les Anciens et les Nouveaux ». Une thématique qui, au vu des différentes transitions politiques récemment intervenues dans la sous-région, devrait trouver un certain écho auprès du public.

Le sommaire de notre série « Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme »

Et notre présentation de la série : Le Burkina Faso à l’épreuve du terrorisme

Dans le nord du Burkina Faso, pays longtemps épargné par le phénomène, la population vit désormais sous la menace djihadiste. Reportages et analyses.