L’Arkansas est devenu en quelques semaines l’épicentre du combat contre la peine de mort aux États-Unis. Huit condamnés à mort, pour meurtres, y attendaient que la justice se prononce sur leur exécution. Don Davis et Bruce Ward devraient être exécutés lundi 17 avril. Le 20 avril, ce devrait être le tour de Ledelle Lee et Stacey Johnson. Puis le 24 avril, ce pourrait être celui de Marcel Williams et Jack Jones. Enfin, le 27 avril, Jason McGehee et Kenneth Williams devraient être exécutés.

Le gouverneur républicain de l’Arkansas, Asa Hutchinson, avait signé, le 10 mars, un décret ordonnant cette série d’exécutions groupées, étalée sur dix jours. Ce rythme inédit pour l’histoire récente de la peine de mort aux États-Unis était justifié par la prochaine date de péremption du midazolam, l’une des substances utilisées pour mettre à mort les condamnés, avec le bromure de vécuronium, un médicament ayant pour effet de décontracter les muscles et le chlorure de potassium qui provoque un arrêt cardiaque.

Après de multiples recours judiciaires et une mobilisation internationale des opposants à la peine de mort, une juge fédérale a suspendu, samedi 15 avril, ce processus. Dans sa décision, la magistrate Kristine Baker a fait valoir que l’Arkansas n’avait exécuté personne depuis 2005 et a reconnu à ces prisonniers le droit de mettre en cause leur mode d’exécution par injection, celle-ci incluant une substance très controversée.

Des manifestants contre la peine de mort à Little Rock, Arkansas, le 14 avril. | Kelly P. Kissel / AP

« Il est regrettable qu’une juge ait pris le parti de prisonniers condamnés, dans une ultime tentative de retarder la justice », a réagi un porte-parole de la procureure générale de l’Arkansas, favorable à la peine de mort. L’Etat de l’Arkansas va saisir la Cour d’appel fédérale compétente de ce jugement tombé après plusieurs semaines de rebondissements judiciaires.

Au bout du compte, c’est tout le programme d’exécutions élaboré par le gouverneur Hutchinson qui a déraillé au fil des jours devant différents juges. Ses détracteurs lui reprochent une précipitation absurde et arbitraire, faisant courir aux prisonniers un grave danger d’exécution « ratée ». En une semaine et demie, l’Etat aurait réduit brutalement de 20 % le nombre total de ses condamnés à mort.

Les laboratoires contre un détournement de leurs produits

Vendredi 14 avril, à moins de 72 heures du début des exécutions, le juge local Wendell Griffen, un opposant à la peine de mort, avait déjà temporairement bloqué les exécutions après avoir été saisi par une société de distribution de produits pharmaceutiques. Il avait émis une injonction de suspension de six exécutions, en attendant un examen sur le fond.

McKesson Medical Surgical Inc., laboratoire ayant fourni du bromure de vécuronium à l’administration pénitentiaire, avait demandé que cette dernière ne puisse utiliser son produit dans le cadre d’une exécution. L’entreprise accusait les autorités pénitentiaires de lui avoir acheté le bromure de vécuronium sans la prévenir qu’il serait employé dans un protocole visant à tuer des condamnés. Le laboratoire, qui indique avoir remboursé l’administration pénitentiaire, avait demandé que les flacons commandés lui soient retournés.

Fresenius Kabi USA, le fournisseur du chlorure de potassium, et West-Ward Pharmaceuticals, le fournisseur du midazolam, avaient aussi saisi la justice en expliquant que leur contrat avec l’administration pénitentiaire ne consiste pas à fournir des produits utilisables pour des exécutions, ce qui irait à l’encontre de leur mission qui est de sauver des vies et d’améliorer la condition des patients.

La Cour suprême de l’Arkansas avait de son côté accordé un sursis à Bruce Ward, atteint de troubles mentaux. Et un autre avait obtenu un sursis il y a quelques jours : le 6 avril, un juge fédéral, le magistrat Price Marshall, avait suspendu l’exécution prévue de Jason McGehee. Il s’était appuyé dans sa décision sur l’avis rendu par la Commission des grâces et libérations conditionnelles de l’Arkansas, qui a estimé que Jason McGehee devrait bénéficier d’un délai de 30 jours supplémentaires après avoir présenté un recours en clémence dont les arguments méritaient d’être examinés.

Mobilisation internationale

L’Union européenne avait exhorté mercredi le gouverneur à « commuer » les sentences. Amnesty International avait demandé une « mise à l’arrêt urgente du tapis roulant d’exécutions » dans l’Arkansas, l’organisation Human Rights Watch dénonçant de son côté « un déluge de mises à mort inédit dans l’histoire américaine moderne ». Natif de l’Arkansas, le maître du roman noir John Grisham avait lui appelé à interrompre cette « folie ». « Une exécution est l’acte le plus grave que puisse prendre un gouvernement. Pourquoi cumuler autant de risques par opportunisme ? », avait interrogé l’écrivain dans une tribune publiée par USA Today, le 10 avril.

Le gouverneur de l’Arkansas, Asa Hutchinson, a justifié ce resserrement chronologique des exécutions par la péremption à la fin du mois d’avril d’une substance utilisée dans les injections létales, dans un contexte de pénurie de ces produits dans les prisons américaines. | HANDOUT / REUTERS

Depuis Little Rock, capitale de l’Etat, le gouverneur avait tenté de justifier sa démarche, commençant par rappeler les meurtres qui avaient valu leur condamnation aux détenus, avant de conclure : « Si j’avais réparti (ces exécutions) sur quatre mois ou six mois, qu’est-ce que cela aurait changé pour les opposants à la peine de mort qui viennent protester ? »

Asa Hutchinson a aussi balayé tout risque en termes d’image pour l’Arkansas, situé au cœur de ce Sud des États-Unis où la peine de mort est encore vivace. « Depuis l’an 2000, le Texas a pratiqué 343 exécutions. L’Europe n’a pour autant pas cessé de commercer avec le Texas », avait-il fait valoir.

Nouvelle bataille judiciaire en perspective

La bataille devant les tribunaux se déroulera encore ces prochains jours. Elle tournera autour du midazolam arrivant à expiration le 30 avril. Cet anxiolytique est accusé de ne pas plonger suffisamment dans l’inconscience le condamné, entraînant pour lui un risque de grave douleur.

Les défenseurs des condamnés affirment que le rythme des exécutions ne peut qu’engendrer un stress dangereux chez les agents chargés de procéder à la mise à mort, ceux-ci étant de surcroît non préparés, après douze ans d’inaction. « Je vous assure qu’ils sont bien formés et qualifiés pour mettre en pratique leurs responsabilités respectives », a répliqué Solomon Graves, porte-parole de l’administration pénitentiaire de l’Arkansas.