Syrie : évacuation de quatre villes assiégées
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La petite ville de Rachidine, dans le nord de la Syrie, a été, vendredi 14 avril, au cœur de l’une des plus complexes opérations d’évacuation de civils et de combattants depuis le début du conflit. C’est vers cette localité proche d’Alep et tenue par l’opposition armée qu’ont convergé plusieurs milliers d’habitants venus de zones rebelles ou prorégime. Tous vivaient depuis près de deux ans assiégés, et sous les bombardements. L’accord d’évacuation a été négocié par le Qatar, parrain des insurgés anti-Assad, et l’Iran, soutien du pouvoir syrien. Ces départs relancent les inquiétudes sur les déplacements forcés de population dans le pays.

Aucune organisation humanitaire internationale n’a pris part aux opérations, qui pourraient durer plusieurs semaines. Elles se sont déroulées sous le contrôle des forces belligérantes, en présence du Croissant-Rouge arabe syrien qui a évacué des blessés.

Echange de prisonniers

Plus de 2 000 personnes ont quitté vendredi la ville rebelle de Madaya, prise en étau par l’armée syrienne et le Hezbollah. La famine, au début de l’année 2016, causée par le siège implacable de cette localité montagnarde à majorité sunnite, située entre Damas et la frontière libanaise, avait suscité une onde de choc. Les derniers combattants insurgés de la ville voisine de Zebdani devaient à leur tour être transportés vers Rachidine, samedi. Quelques 5 000 autres habitants de Foua et Kefraya, deux villages chiites loyalistes enclavés dans la région d’Idlib (nord-ouest) aux mains de la rébellion, et encerclés par des groupes radicaux, ont déjà laissé derrière eux leurs maisons, et d’autres doivent encore partir.

Le début des évacuations, prévu à l’origine début avril, a été retardé. Il a failli l’être à nouveau quand, dans la nuit de jeudi soir, des dizaines de mortiers se sont abattus sur le village de Foua. Le transport des habitants par bus, vendredi, s’est fait sans incident majeur. Inquiets, les évacués ont quitté leur terre sans savoir si et quand ils la fouleront à nouveau. Leur départ a été précédé par un échange de prisonniers et de dépouilles de combattants.

Le sort des habitants de ces régions distantes est lié depuis l’été 2015 par l’accord dit des « quatre villes ». Il est alors négocié par la Turquie, le groupe salafiste Ahrar Al-Cham, et l’Iran. Son but est d’obtenir une trêve autour des différentes localités. A la fin de l’année 2015, un premier échange de combattants et de civils a lieu. Depuis, l’entrée de l’aide humanitaire dans l’une de ces villes ou l’évacuation de blessés ont toujours été conditionnées au principe de réciprocité. Avec des conséquences parfois dramatiques. Chaque camp, prorégime ou prorebelles, a aussi utilisé ces villes comme moyen de pression.

L’accord ne fait pas le consensus parmi les militants évacués de Madaya. Joint par Le Monde, Amjad Al-Maleh, un activiste, explique qu’il n’a « pas eu d’autre option que de partir ». En tant qu’opposant impliqué dans le soulèvement contre Bachar Al-Assad, il redoutait des représailles du régime s’il restait dans sa ville. Mais il affirme aussi que, parce qu’il a dénoncé l’accord, il a « reçu des menaces de groupes [armés pro-opposition] de la province d’Idlib », en faveur de cet arrangement.

Cette région du nord de la Syrie est dominée par les djihadistes de l’ex-Front Al-Nosra et les ultras d’Ahrar Al-Cham. C’est ce territoire que doivent rejoindre les évacués de Madaya et de Zebdani. Tandis que les habitants de Foua et de Kefraya devraient être redirigés vers Damas, Alep ou Lattaquié, trois fiefs contrôlés par le pouvoir.

Flou

Sur les murs de Madaya, ces mots ont été inscrits : « Non au changement démographique. » Ils seront sans doute rapidement effacés par l’armée syrienne, entrée dans la ville vendredi après-midi. Depuis plus d’un an, alors que les opérations d’évacuation depuis les zones reprises par le régime se sont multipliées, les opposants de la Coalition syrienne dénoncent une politique de transfert de population en cours en Syrie sur une base confessionnelle. Des accusations que le régime a toujours réfutées.

L’alternative des habitants des poches reconquises est rester sur place en revenant dans le giron du pouvoir – et pour les combattants, en incorporant les milices locales prorégime – ou partir vers la zone rebelle d’Idlib.

Le sort à venir de Foua et Kefraya reste flou. La plupart des familles de Madaya ont pour l’instant choisi de demeurer dans leur maison. Zebdani, déjà vidée de l’essentiel de ses civils au cours des années passées, devait prendre, samedi, l’allure d’une ville fantôme.