(Cet article évoque le scénario de la série. Les passages contenant des informations réservées aux personnes l’ayant déjà vue ou ne craignant pas d’être spoliées sont masqués par défaut et peuvent être dépliés. Le corps de l’article ne révèle aucun élément qui n’est pas présent dans sa bande-annonce ; certains des liens qui y figurent conduisent en revanche vers des articles contenant des révélations.)

Hannah Baker, une élève de première dans un lycée américain ordinaire, s’est suicidée. Sans laisser de lettre. Mais avant sa mort, la jeune femme a enregistré sept cassettes audio, chaque face décrivant l’une des raisons de son suicide, et consacrées et destinées à une personne qu’elle accuse d’être responsable de son mal-être… et de sa mort.

13 Reasons Why | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 01:59

13 Reasons Why, la série de Netflix adaptée du roman éponyme (2009) de l’écrivain américain Jay Asher, traduit en français sous le titre Treize raisons, a connu un démarrage en fanfare dès son lancement, le 31 mars. En l’espace de deux semaines, la série de treize épisodes — un par face de cassette — s’est d’ores et déjà taillé un succès impressionnant.

Netflix ne communique pas le nombre de fois que ses séries ont été regardées, mais 13 Reasons Why accumule, sur les réseaux sociaux et sur Internet, les records. Le pic de recherches sur Google (chiffres encore partiels) concernant la série s’est payé le luxe de dépasser les volumes recueillis par des classiques comme Hunger Games. Seule une poignée de séries passées maîtresses dans l’art du cliffhanger (« suspense »), dont Game of Thrones et The Walking Dead, a suscité des pics de recherches plus importants dans l’histoire de Google — et encore, qu’après plusieurs saisons.

Au-delà de l’intérêt suscité par cette série — bien aidée par une importante campagne promotionnelle de Netflix et par le fait que la productrice, la chanteuse Selena Gomez, soit l’une des stars préférées des adolescents —, c’est surtout le volume de débats et de discussions l’entourant qui la distingue.

Sur les réseaux sociaux, le nombre de messages consacrés à la série connaît des paliers rarement atteints. Depuis le 30 mars, près de 8 millions de messages ont été publiés sur Twitter, battant largement toutes les autres séries de Netflix, « et le nombre continue de grossir », selon le réseau social. Sur Instragram, les deux acteurs principaux de la série, Katherine Langford (Hannah Baker) et Dylan Minnette (Clay Jensen), accumulent les abonnés au rythme de cent mille à trois cent mille par jour depuis le 31 mars.

Naissance d’un « fandom »

Série dure sur le harcèlement, la dépression, le suicide et la violence, 13 Reasons Why semble avoir ouvert en grand les vannes du mal-être adolescent. Sur Tumblr, la plate-forme de microblogs très fréquentée par les adolescents américains, des dizaines de milliers de messages arborent des GIF animés des protagonistes de la série, discutent de citations des personnages, livrent leurs impressions sur le scénario, évoquent les différences entre le livre et la série, la possibilité qu’il y ait une deuxième saison, comparent des théories plus ou moins alambiquées sur les motivations des personnages…

En l’espace d’une semaine, c’est tout un fandom, une communauté de fans, avec ses fictions, ses codes, ses références, qui est apparu, aux côtés des très établis fandoms de Sherlock ou de Doctor Who.

La plate-forme accueille aussi de très nombreux messages de personnes qui disent avoir été bouleversées, comme d’ailleurs dans la plupart des espaces de discussion en ligne. Ce qui fait visiblement la force de la série est aussi ce qui lui a attiré le plus de critiques : certains commentateurs ont vu dans les treize épisodes une forme de « glorification du suicide », ou, de manière plus mesurée, une manière incorrecte et dangereuse de décrire le processus qui peut y mener.

L’idée qu’un suicide puisse être expliqué par « treize raisons » donne une vision simpliste du problème, arguent certaines critiques qui estiment aussi que la posture vengeresse de l’héroïne pose problème. D’autres jugent encore que la série peut « perpétuer l’idée que les amis et la famille des personnes qui se suicident auraient pu ou dû faire plus, ce qui est une méconnaissance de la manière dont fonctionnent la maladie, la dépression, le suicide et le deuil », résume le Daily Beast.

Dans certains pays, et notamment au Brésil, des associations d’aide aux personnes suicidaires ont signalé que les appels sur leurs lignes d’écoute avaient doublé depuis le début de la diffusion de la série, et qu’elles avaient reçu des messages mentionnant explicitement celle-ci comme la raison les ayant poussées à chercher de l’aide.

En montrant en détail des signes avant-coureurs du suicide, en évoquant de manière plus complexe que ce que laisse entendre son titre les causes possibles, et en abordant ce que vivent les proches, 13 Reasons Why suit pourtant plutôt les recommandations des spécialistes de la prévention.

Une étude menée en 1996 sur les conséquences du suicide du chanteur de Nirvana, Kurt Cobain, tendait à montrer que l’évocation du deuil de ses proches et le fait que son suicide fut violent faisaient partie des facteurs qui avaient limité un « effet d’entraînement » constaté en d’autres occasions après le suicide d’une célébrité. La série semble avoir lancé une discussion d’une ampleur rare sur les réseaux sociaux sur un sujet toujours tabou.

Quelques messages parmi des milliers.

Mème et harcèlement

Sur les réseaux sociaux, la série a aussi été à l’origine d’une large discussion sur le harcèlement et le sexisme, thèmes largement traités au long des treize épisodes. Une discussion largement animée par un mème très diffusé sur Twitter, baptisé « Welcome to Your Tape ».

Dans ce détournement, dont il existe des dizaines de variantes, Hannah demande une chose anodine, se voit opposer un refus, et réplique « bienvenue dans ta cassette » (« Welcome to your tape »). Une caricature de la manière dont sont construits les épisodes de la série : chacun présente une personne accusée par Hannah d’être responsable de sa mort, guidée par la voix de l’héroïne, qui lui souhaite « bienvenue dans ta cassette ».

Ces « blagues » ont particulièrement agacé les nombreuses personnes qui ont apprécié le message porté par la série contre le harcèlement au quotidien. « Rien ne m’énerve plus que tous ces mèmes “welcome to your tape”, écrit ainsi une internaute sur Twitter. Le principe même de 13 Reasons Why, c’était de montrer que ce genre de trucs n’est pas une blague. » « Le fait que des gens fassent des mèmes sur 13 Reasons Why ne fait que confirmer littéralement ce que pense Hannah Baker de notre société », écrit une autre sur Tumblr.

Plus précisément, de nombreux commentateurs soulignent que ce mème reprend l’une des accusations portées contre Hannah dans la série : elle serait une drama queen, en quête perpétuelle d’attention — sous-entendu, il ne faut pas l’écouter. Un mécanisme classique consistant à accuser la victime, et dénoncé de longue date par les associations d’aide.