Damon Lindelof, président du jury de la compétition officielle du festival Séries Mania. | GILLES COULON/SÉRIES MANIA

Après avoir co-écrit et dirigé, avec J. J. Abrams, Lost (2004-2010) ainsi que de nombreux films dont Star Trek, Damon Lindelof a créé la série Leftovers dont la troisième et dernière saison est diffusée sur OCS City à partir de lundi 17 avril (20 h 55 en US + 24). Le showrunner revient sur les idées maîtresses qui l’ont guidé dans l’écriture.

Le prologue de The Leftovers s’ouvre sur un mystère : un certain 14 octobre, 2 % de la population mondiale se sont volatilisées en un instant, sans explication aucune, et sans que l’on sache ce que leurs corps sont devenus. Ni meurtre, ni violence, ni rapt ne seront constatés après coup : des personnes de tous âges et de toutes conditions ne sont simplement plus parmi nous… Ni l’Etat, ni les Eglises, ni les scientifiques n’ont un début d’éclaircissement sur ce qui a bien pu survenir. La série s’intéresse à ceux qui sont restés et doivent faire face à ce « ravissement ».

Quelle était votre intention, en créant The Leftovers ?

On se pose tous des questions liées à ce qui est ébréché ou cassé en nous. Quand nous ne parvenons pas à réparer cela nous-même ou à travers nos liens affectifs, nous nous tournons vers des histoires extérieures. Elles nous parlent parce qu’elles font appel à un dieu ou une entité qui dit quoi faire, nous juge pour ce que nous avons fait de mal, nous gratifie pour ce qui nous met en joie. La base des religions, c’est l’émotionnel.

Cette troisième et dernière saison met l’accent sur un pressentiment d’apocalypse de la part des personnages, sept ans après « la grande disparition »…

Cela renvoie à quelque chose que l’humanité connaît depuis toujours. Chaque génération a cru que le monde allait s’arrêter au cours de leur vie. Comment se fait-il que nous croyions encore que le monde va prendre fin alors que ceux qui nous ont précédés y ont cru et que rien, pourtant, ne s’est passé ?

The Leftovers - bande annonce
Durée : 01:03

Ce serait pour cela que nous avons recours à des croyances, voire à une religion ?

Nous avons besoin de religion, de croyances, de ces histoires pour ne pas tomber dans le désespoir ou pour garder un certain équilibre face à nos fêlures ou nos vulnérabilités. C’est ce besoin que la série explore.

On pourrait penser qu’il est temps de mettre fin à cette croyance de fin du monde et à cette attente de « grande délivrance »… Or au moment même où je vous fais cette remarque, je me dis moi-même qu’il se peut très bien que le monde arrive à sa fin au cours de ma vie…

La série s’ouvre sur un événement apocalyptique précisément pour annoncer que son thème sera sur cette grande peur qui nous habiterait ?

Elle s’ouvre sur un événement apocalyptique et sur ce qu’on peut croire être un signe ou une preuve de Dieu, selon la façon dont on choisit de l’interpréter. J’espère que pour le spectateur, elle se terminera sur une réponse satisfaisante quant à ce que j’ai essayé d’approcher, c’est-à-dire l’idée de la grâce, d’une délivrance face au désespoir, à la dépression, à la sensation d’être perdu, et, surtout, d’être seul.

J’ai le sentiment que plus on est seul, plus on se sent mal. Nous sommes toujours à la recherche d’une sorte de lien avec notre communauté, de relations plus étroites avec ceux qui nous entourent et peuvent nous apporter un mieux-être. Or nos histoires nous permettent de nous relier.

The Leftovers Season 3 Trailer (HD) Final Season
Durée : 01:58

Les personnages de The Leftovers ont précisément du mal à se faire confiance ou à se comprendre…

Ils tentent de se lier les uns aux autres au travers de leur histoire. Mais si votre histoire, ou une partie d’elle, n’a rien de commun avec la mienne, vous allez rejeter ou discréditer mon histoire. C’est dire combien le système de croyances de chacun est versatile : nous ignorons chez l’autre ce qui n’est pas important pour nous, ce en quoi nous ne nous sentons pas concernés, et nous ne nous approprions de l’autre que ce qui fait sens pour nous. Des pans entiers de la vulnérabilité des autres nous restent cachés.

Au-delà de la difficulté que rencontrent les deux personnages principaux à parvenir à une réelle intimité, voulez-vous souligner combien la peur de dévoiler sa vulnérabilité, empêche l’intimité, l’écoute de l’autre ?

La vraie intimité est quelque chose d’éminemment difficile à atteindre. A tous les niveaux, mais le plus grand risque de l’intimité dans le couple est que l’autre vous quitte. C’est pour cela qu’il est plus facile pour les hommes d’être amis entre hommes et pour les femmes d’être amies entre femmes : on ne ressent pas le même risque de les perdre.

Dans The Leftovers, cette inquiétude est magnifiée parce qu’il y a eu « le grand départ » : chacun sait que la personne qui lui est la plus chère peut disparaître à tout moment. Cela dit, je ne pense que ce soit plus difficile pour les hommes d’entrer dans une véritable relation intime que pour les femmes. Ça me semble aussi difficile dans les deux cas. Le personnage principal, Kevin, qui est athée, s’engage dans une voie plus spirituelle pour y parvenir, sa compagne, Nora, dans une voie plus scientifique, mais chacun espère que ce cheminement les amènera l’un vers l’autre.