Les militants du « oui » se sont mobilisés à Istanbul. | MURAD SEZER / REUTERS

Une courte majorité de Turcs a approuvé dimanche 16 avril le renforcement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan au cours d’un référendum. Le résultat de cette consultation populaire influera autant sur l’avenir des relations avec l’Union européenne (UE), que sur l’approche de la « question kurde » et l’évolution des dynamiques sociales.

Un pouvoir sans précédent

Avec cette victoire, M. Erdogan détiendra un pouvoir considérablement renforcé et pourra en théorie rester au pouvoir jusqu’en 2029. L’exécutif sera concentré dans les mains du président, et le poste de premier ministre disparaîtra.

Ses partisans soutiennent qu’une telle mesure est nécessaire pour stabiliser l’exécutif et établir des barrières claires avec le judiciaire et le législatif. Mais ses opposants affirment qu’il n’existerait plus de contre-pouvoir dans ce nouveau système, ouvrant la voie à un régime autocratique.

Ce système présidentiel « rassemble un pouvoir sans précédent dans les mains d’un seul homme », souligne Alan Makovsky, du Center for American Progress.

Le projet d’adhésion à l’UE en sursis

Les relations entre la Turquie et l’Union européenne se sont fortement dégradées dans la dernière ligne droite de la campagne référendaire, M. Erdogan accusant certains pays de « pratiques nazies ». M. Erdogan a affirmé que la candidature de la Turquie à l’UE, au point mort depuis des années, serait mise « sur la table » après le référendum. Il a aussi évoqué dimanche un possible référendum sur le rétablissement de la peine capitale, une ligne rouge pour Bruxelles.

« La tactique consistant à s’en prendre constamment à l’UE (…) à des fins de politique intérieure a maintenant atteint sa limite », commente Marc Pierini, du centre de réflexion Carnegie Europe.

Avec cette victoire, M. Erdogan pourrait être tenté d’enterrer le projet d’adhésion, pour privilégier les relations commerciales, sous la forme d’une union douanière renforcée, par exemple.

Une offensive en Irak envisageable

Depuis la rupture de la trêve historique avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à l’été 2015, le sud-est de la Turquie est plongé dans une spirale d’affrontements meurtriers entre les forces de sécurité turques et les séparatistes kurdes.

L’offensive militaire d’Ankara s’est doublée d’une répression accrue contre les milieux politiques et médiatiques prokurdes, accusés d’activités « terroristes » en lien avec le PKK.

Avec la courte victoire du oui, M. Erdogan pourrait être contraint d’adopter une approche plus « conciliante » sur la « question kurde », pense Asli Aydintasbas, experte au Conseil européen des relations internationales. Cependant, l’heure est toujours à la rhétorique martiale, et la presse proche du pouvoir rapporte qu’une offensive terrestre sera lancée après le référendum contre le PKK dans le nord de l’Irak.

Un discours apaisé

La société turque s’est fortement polarisée ces dernières années autour de la figure de M. Erdogan. Pendant la campagne référendaire, le président turc a diabolisé ses opposants, les accusant de collusion avec les « terroristes » et les « putschistes ».

M. Erdogan « remporte [les élections], mais, au final, une moitié du pays l’aime, et l’autre le déteste. C’est cela, l’origine de la crise de la Turquie moderne », explique Soner Cagaptay, analyste au Washington Institute. Cependant, M. Erdogan, qui s’est allié avec les ultranationalistes pour remporter la bataille du référendum, a fait montre d’un grand pragmatisme par le passé.

Certains observateurs s’attendent à ce qu’il adopte un discours plus apaisant après le référendum. « Maintenant est venu le moment de la solidarité, de l’unité, d’être, tous ensemble, la Turquie », a déclaré le premier ministre Binali Yildirim dimanche, lors de son discours de victoire.

Des conséquences incertaines sur les marchés à long terme

Les marchés ont misé prudemment sur une victoire du oui au référendum, espérant un retour à la stabilité qui fait défaut à la Turquie, frappée depuis un an et demi par une vague d’attentats, et secouée par une tentative de putsch en juillet.

Mais à moyen terme, l’incertitude domine. L’affaiblissement de la confiance des investisseurs dans les institutions, une polarisation accrue de la société et le retard des réformes structurelles pourraient affecter la croissance.

Une victoire du oui « pourrait être saluée par les marchés à court terme », avait analysé le cabinet BCG Partners à Istanbul avant le scrutin. Mais la croissance « reste feutrée et les implications à long terme du système [présidentiel] sont encore inconnues », avait-il souligné.