Chaque année, le commerce d’alcool le long des autoroutes rapporte environ 1 000 milliards de roupies de taxes aux Etats fédérés (14,7 milliards d’euros). | Narinder Nanu/AFP

Le génie indien de la débrouille a encore fait des siennes. Appelé « jugaad » en langue hindi, il désigne cette façon qu’ont les Indiens d’utiliser les moyens du bord pour contourner les obstacles de toute nature. La prohibition d’alcool, par exemple. Lorsque la Cour suprême a décrété, le 31 mars, que la vente de bières, vins et spiritueux était désormais interdite dans tous les bars et hôtels situés à moins de 500 mètres des autoroutes nationales, plusieurs Etats de l’Union indienne ont aussitôt trouvé l’astuce pour échapper à la mesure : changer le statut juridique desdites autoroutes. C’est ainsi qu’au Maharashtra, au Rajasthan, au Pendjab, au Bengale-Occidental, en Himachal Pradesh et en Uttarakhand, plusieurs centaines de kilomètres de ruban d’asphalte ont subitement été transformés en routes départementales ou en voies express urbaines.

L’enjeu est avant tout financier. Le commerce d’alcool le long des autoroutes rapporte chaque année, bon an mal an, 1 000 milliards de roupies de taxes aux Etats fédérés (14,7 milliards d’euros). L’industrie du tourisme, qui emploie directement ou indirectement près de 14 millions de personnes dans le secteur de la restauration, évalue quant à elle ses propres pertes à 10 milliards de roupies par jour (147 millions d’euros), les touristes ayant une fâcheuse propension à déserter les lieux où ils ne peuvent pas boire. Une très mauvaise nouvelle, donc, pour un secteur qui commençait tout juste à se remettre des effets de la crise financière mondiale de 2008. Le long des plages de Goa, les hôtels assurent que 10 000 emplois sont menacés. Au Maharashtra, on parle de 100 000 employés en chômage technique.

Plus de 6 700 décès par an

Pour échapper à la nouvelle règle qui prévaut dans le périmètre des 500 mètres, certains d’entre eux ont donc fermé leur entrée qui donnait sur l’autoroute, et en ont ouvert une autre à l’arrière du bâtiment. Mais la bagarre ne fait que commencer, car à Delhi, l’Etat central entend que la prohibition soit respectée. Le gouvernement Modi a déjà prévenu les petits malins qui s’aventurent à déclassifier les autoroutes qu’ils seraient à l’avenir privés des financements fédéraux alloués pour entretenir les chaussées nationales.

On en oublierait presque l’objectif poursuivi par la prohibition : la sécurité routière. En 2015, indique le ministère des routes et autoroutes, l’alcool et la drogue ont été à l’origine de plus de 16 000 accidents et la cause de plus de 6 700 décès. Quant à ceux qui s’étonnent que la nouvelle interdiction ait été imposée par la justice, et non par le politique, les militants de la prohibition rappellent qu’il ne s’agit que de respecter la loi. « L’Etat s’efforce d’interdire la consommation, sauf pour raison médicale, des boissons enivrantes et des drogues nuisibles à la santé », indique l’article 47 de la Constitution.

Par Stéphane Picard