La question est simple : peut-on dire n’importe quoi, aller jusqu’au propos le plus indigne, dans une campagne électorale ? La réponse, hélas, est connue : oui. Toutefois, dans la plupart des ­démocraties qui ont été victimes du terrorisme islamiste, les candidats sérieux, quand ils abordent ce sujet, observent une limite. On ne récolte pas de voix sur le dos des morts. C’est une sorte de ligne rouge d’ordre moral – et qui préserve l’avenir. Cette ligne rouge, la chef du Front national (FN), Marine Le Pen, vient de la franchir.

Aux Etats-Unis, au lendemain des attentats de 2001, au tout début de la présidence du républicain George W. Bush, aucune personnalité démocrate ne s’est autorisée à exploiter politiquement la tragédie.

Dans les mois qui ont suivi, alors que le Congrès enquêtait sur les défaillances de la sécurité dans cette attaque, aucun démocrate n’a même songé à critiquer l’administration républicaine sur le thème : « Avec nous, ça n’aurait pas eu lieu. » Pourtant, les services de sécurité de Bill Clinton avaient laissé à son successeur un dossier estampillé « Ben Laden », prévenant que son groupe, Al-Qaida, cherchait à perpétrer des attentats sur le territoire américain.

Au Royaume-Uni, au lendemain des attentats de Londres en juillet 2005, qui firent 52 morts, le débat est vif. L’engagement en Irak du premier ministre, le travailliste Tony Blair, est critiqué, de même que la passivité de services secrets visiblement pris de court. Mais pas un responsable conservateur ­sérieux n’a osé prétendre qu’un gouvernement tory aurait empêché les attentats.

Sens des responsabilités

On peut avancer que certains d’entre eux auraient peut-être pu être évités – on l’a entendu en France au lendemain de la tuerie de Nice, le 14 juillet 2016 –, jamais le garantir. La nature du risque terroriste est d’être relativement imprévisible. Elle interdit à tout candidat à un mandat public de prendre l’engagement qu’il ou elle empêchera le terrorisme islamiste. A posteriori, elle interdit d’exploiter électoralement les victimes de ce type d’attentats. C’est affaire de décence et de sens des responsabilités.

Pas pour Mme Le Pen, qui a déclaré, lundi soir : « Avec moi, il n’y aurait pas eu de Mohamed Merah, français grâce au droit du sol. » Propos absurde, sauf à laisser entendre qu’elle est prête à priver de leur nationalité des centaines de milliers de Français dont les parents sont d’origine étrangère.

« Avec moi, il n’y aurait pas eu » les attentats du ­Bataclan et du Stade de France, a-t-elle poursuivi, parce que les terroristes « ne seraient pas entrés dans notre pays » – faux, là encore, parce que les policiers eux-mêmes reconnaissent que la frontière franco-belge, Schengen ou pas Schengen, n’a jamais été hermétique. Peut-on jouer ainsi, à des fins électorales, avec la mémoire des morts ?

La présidente du FN a promis un moratoire « total, immédiat sur toute l’immigration légale » au lendemain de son élection, le temps de revoir la législation.

De retour d’une visite dans leur pays, hommes d’affaires, scientifiques, étudiants, infirmiers et médecins faisant tourner nos hôpitaux publics, ouvriers et employés aux tâches les plus ingrates, tous ces étrangers, qui sont partie intégrante de la France de 2017, ne pourraient y entrer de nouveau… Donald Trump s’est essayé à pareille démagogie, la justice américaine lui a barré la route. Mais, dans ce style-là, rien n’arrête Mme Le Pen.