Le 14 juillet 2016, vingt minutes après l’attentat au camion-bélier ayant causé la mort de 86 personnes sur la promenade des Anglais à Nice, Sasa Damjanovic, 36 ans, et sa compagne Vera Vasic, 29 ans, quittaient leur logement à Cannes, grimpaient dans une voiture, et roulaient jusqu’à l’Hôpital Pasteur, dans le nord de Nice, pour s’y faire enregistrer comme victimes.

Mercredi 19 avril, ils ont été respectivement condamnés par le tribunal correctionnel de Grasse (Alpes-Maritimes) à six et quatre ans de détention pour « tentative d’escroquerie aggravée », pour avoir essayé de se faire indemniser par le Fonds de garantie des victimes du terrorisme et d’autres infractions (FGTI) alors qu’ils n’avaient subi aucun préjudice.

L’histoire judiciaire vient de bégayer. Il y a un peu plus de quatre mois, le 8 décembre 2016, le même couple avait été condamné par le même tribunal à des peines presque similaires – six ans pour lui, trois ans pour elle, peines auxquelles les nouvelles s’additionnent –, cette fois pour « escroquerie » : Sasa Damjanovic et Vera Vasic s’étaient déjà dit victimes des attentats de Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, alors qu’ils se trouvaient ce soir-là à Antibes, et leur entreprise crapuleuse avait réussi, puisqu’ils avaient perçu 30 000 euros chacun de la part du FGTI.

La tentative d’escroquerie survenue au lendemain de l’attaque terroriste de Nice a finalement causé leur perte. La police judiciaire niçoise avait émis de premiers soupçons face aux incohérences entre les témoignages des deux membres du couple et de trois de leurs proches qui ont également voulu profiter du filon. Le procureur Valérie Tallone a ainsi souligné que les deux prévenus et leurs proches – ces derniers ont subitement retiré le dossier qu’ils avaient déposé auprès du FTGI après la première condamnation du couple – n’avaient « même pas été suffisamment intelligents pour coordonner [leurs] déclarations : au moment de l’attentat, l’un dit que vous étiez en train de rejoindre votre voiture, l’autre que vous alliez boire un coup. L’un dit que vous vous êtes réfugiés dans un hall d’immeuble, l’autre dans un parking... »

Et le FGTI vit apparaître deux fois les mêmes noms

C’est ensuite le FGTI lui-même qui avait tiqué en voyant revenir dans ses fichiers, à la suite de la tragique soirée niçoise, deux noms qu’elle avait déjà vus passer après les attentats ayant touché la région parisienne huit mois plus tôt – ce qui avait déclenché le premier procès au cours duquel, sans se démonter, le couple avait continué d’affirmer que, certes, il avait menti la première fois, mais que la seconde, il se trouvait bien sur la promenade des Anglais. La géolocalisation des téléphones portables a ensuite permis d’établir facilement que tout ce petit monde était à Cannes au moment où un camion fonçait sur la foule à Nice.

Alors qu’un gigantesque orage éclatait sur le palais de justice de Grasse, maître Jean-Pierre Andréani, avocat des deux prévenus, a défendu comme il a pu ses clients dans ce procès perdu d’avance, mettant en avant le « décor de désespoir » dans lequel vivait le couple, la spirale de l’endettement, les menaces de mort des créanciers, et la maladie d’un de ses deux enfants (âgés de 6 et 7 ans).

« Troubles bipolaires »

Il a surtout insisté sur la pathologie dont serait victime, selon lui, Sasa Damjanovic, « cet homme malade qui souffre de troubles bipolaires », et qui donc « n’avait pas la totalité de son discernement au moment où il a procédé à ses demandes d’indemnisations. S’il y avait eu un troisième attentat, peut-être aurait-il déposé une troisième demande. Les bipolaires vivent dans un déni total. » Mais sa demande de renvoi du procès pour expertise psychiatrique a été rejetée, et sa plaidoirie n’a guère ému le président du tribunal Marc Joando, ni la procureure.

« Aucun élément n’indique une quelconque maladie mentale », a commenté la seconde, tandis que le premier évoquait ainsi la soirée du 14 juillet 2016 : « Moi, j’ai essayé de savoir si mes proches étaient sains et saufs. Et là, vingt minutes après, on part en groupe vers Nice pour encombrer les hôpitaux, les enquêteurs, et toute la chaîne de la procédure d’indemnisation. Alors qu’il y avait encore 86 corps tièdes sur la Promenade des Anglais, ceux-là n’avaient qu’une idée : la cupidité, détourner l’argent de la solidarité nationale. »

Dans une ultime déclaration, Vera Vasic, secouée par ses propres sanglots tout au long de l’audience, a tenu à « [s]’excuser auprès du Fonds de garantie [qui a obtenu l’euro symbolique qu’il réclamait] et des victimes ». Sasa Damjanovic, quant à lui, a imploré le tribunal de « faire que [sa] femme sorte et élève [ses] enfants ». Il est désormais incarcéré à Grasse. Elle est incarcérée à Nice. Leurs deux enfants dorment chez la mère et la sœur de cette dernière.