Ennui, impression d’avoir fait le tour de son métier, sentiment d’inutilité sociale ou d’être en conflit avec soi-même… Chaque année, de nombreux Français entament une formation pour changer de métier et donner un nouveau sens à leur vie. « Ces personnes sont souvent en conflit avec leurs valeurs profondes. Elles ne se retrouvent plus dans leur activité au quotidien. Elles peuvent aussi ne pas se ­reconnaître dans leurs collègues, décrit Caroline Haddad, psychologue qui accompagne des travailleurs en quête de reconversion. Mais il faut bien identifier son problème, car le mal-être peut aussi venir de l’entreprise ou d’un contexte particulier. »

Urbaniste-paysagiste, Pauline Daviet cumulait les frustrations. « Je travaillais beaucoup plus derrière mon ordinateur que sur le terrain », explique-t-elle. Elle se sentait limitée par des contraintes d’ordre politique ou économique, par des problèmes d’agenda. « Je me posais de plus en plus de questions sur mon mode de vie, mon alimentation », se souvient-elle. Parallèlement à son métier, elle entame une formation à la permaculture et au maraîchage bio. A cette époque, ses employeurs lui annoncent qu’ils traversent des difficultés économiques et qu’ils envisagent de la licencier. Elle y voit « une opportunité pour changer de vie ». Ils planifient ensemble sa fin de contrat, et Pauline Daviet profite de cette période de chômage pour lancer sa ­reconversion dans l’agriculture responsable.

Changer de vie, rares sont ceux qui n’y ont pas pensé un jour. Mais à quel moment l’idée est-elle suffisamment mûre pour se lancer ? « Si la personne arrive à anticiper les diffi­cultés et les émotions négatives impliquées par la reconversion, et si elle met en place des démarches pour dépasser son projet idéalisé, c’est un bon indicateur de sa capacité à se ­reconvertir », explique Caroline Haddad. Pour ceux qui doutent mais qui n’arrivent pas à trouver leur voie, plusieurs organismes (Pôle emploi, APEC, AFPA, Opacif, missions locales…) et des psychologues du travail proposent du conseil en évolution professionnelle (CEP). Ce dispositif peut être financé par l’employeur ou par un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA).

« On fait d’abord un travail introspectif pour décortiquer ce qu’aime et n’aime pas la personne, explique la psychologue. Puis on fait passer des tests de personnalité, de valeurs et d’intérêt pour définir un profil personnel et professionnel. La deuxième phase est plus ­prospective, c’est un travail d’enquête pour rencontrer des professionnels et identifier la faisabilité du projet en termes de formation et d’accès au métier. ­Enfin, on met en place un plan d’action ­détaillé définissant la formation, son financement et ses dates. » L’ensemble de ce processus dure en général trois mois et ­demande beaucoup d’investissement personnel. « On ne fait pas le travail à leur place », prévient ­Caroline Haddad.

Retrouver un rythme d’apprentissage

Pauline Daviet n’est pas passée par un CEP, mais grâce à Pôle emploi, elle a obtenu le ­financement intégral de sa formation de trois mois à la ferme Sainte-Marthe – soit 3 300 euros – avec, dans son dossier, un ­projet de ferme pédagogique. Elle est ensuite partie au Québec pendant deux mois, avec son conjoint urbaniste, pour un stage chez une maraîchère bio. A son retour, le couple a sillonné la France jusqu’à trouver, dans l’Yonne, la parcelle qui accueille son jardin associatif, biologique et pédagogique.

Brice Zimmer a lui aussi fait financer sa ­reconversion professionnelle par Pôle ­emploi. A 26 ans, après sept années comme animateur, dont trois à la direction d’un centre d’accueil pour enfants, il était lassé par sa profession. « Plutôt que de changer de structure, je me suis dit : offre-toi la possibilité de changer radicalement », explique-t-il. Avant de négocier une rupture conventionnelle, il s’imagine plombier, commercial, communicant, effectue des recherches sur les conditions de travail et le quotidien de toute une série de professions. Finalement, il se fixe sur le métier d’infirmier – « La formation pouvait être prise en charge à 100 % par Pôle emploi. » Après avoir réussi le concours, il s’engage dans un cursus de trois ans. « Je n’aurais jamais pu faire tout cela si je n’avais pas touché le chômage, puis une aide à la formation de 650 euros par mois à la fin de mes droits », souligne-t-il.

Dans ce processus, tout l’enjeu est d’arriver à trouver le bon projet de reconversion, à bien formuler ses attentes et ses envies – bref, à être acteur de ce changement. Cela n’avait rien d’évident pour Baptiste (le prénom a été changé), 28 ans, diplômé en sociologie, qui travaillait dans un espace de grande distribution culturelle. Licencié pour motif économique, il a été orienté vers un organisme de conseil en évolution professionnelle, où il a réalisé un travail avec une conseillère afin de définir un projet de reconversion. Après des tests de personnalité, on lui a conseillé de devenir développeur informatique. Il suit une formation de six mois, à ­l’issue de laquelle il se met à son compte comme développeur, sous un statut d’autoentrepreneur. Loin d’être passionné par son nouveau métier, il abandonne au bout de dix mois, « fatigué de galérer en tant que free-lance ». Il travaille désormais dans un centre d’appels en Irlande pour une multinationale du secteur informatique. « Chacun est censé trouver sa voie. Mais la trouver, cela peut être extrêmement stressant et compliqué », constate-t-il aujourd’hui.

Autre difficulté : réussir, avec cette reprise d’études, à retrouver un rythme d’apprentissage. Mais le poids de l’expérience passée, même dans un tout autre secteur, donne à ces « reconvertis » une longueur d’avance par rapport aux élèves plus jeunes. « Lorsque c’est un choix, la reprise des études se passe généralement très bien », confirme la psychologue Caroline Haddad. Durant sa formation, Brice Zimmer s’est rendu compte qu’il avait plus de mal que certains à mémoriser des éléments de cours, mais qu’il avait une meilleure compréhension globale des enseignements. « Mes expériences m’ont permis d’avoir une approche “plus macro” de mes cours, d’avoir un meilleur esprit d’analyse et critique », considère cet infirmier, embauché juste après son diplôme dans une clinique de chirurgie orthopédique.

S’imposer une discipline de fer

Pour mettre toutes les chances de son côté, Nathalie (le prénom a été changé), qui avait commencé sa carrière dans le secteur associatif, s’est imposé une discipline de fer pour préparer le concours de professeure des écoles. Inscrite dans une préparation par correspondance, elle révisait depuis chez elle. « Je me suis fait des plannings de travail très ­cadrés. Lors de mes précédentes expériences en humanitaire, j’avais travaillé dans différentes langues, j’apprenais toujours de nouvelles choses, donc quelque part, je n’étais pas sortie de cette dynamique d’apprentissage », explique cette ancienne diplômée d’une école de commerce. Ses débuts en tant qu’enseignante ont été « très difficiles, lourds et stressants ». « Je n’avais pas les bons ­réflexes, mais j’ai appris en pratiquant et en discutant avec d’autres profs. La seule chose qui me manque,c’est le travail d’équipe.J’ai contourné cela en adhérant à une association de professeurs. Réflexe de mon ancienne vie dans le milieu associatif. » Cinq ans plus tard, elle ne regrette pas une seconde sa nouvelle vie. Tout comme Pauline Daviet, aux commandes de sa ferme bio avec son conjoint. « On est dans un coin perdu, mais jamais autant d’amis ne sont venus nous voir, s’amuse-t-elle. En revanche, nos salaires ont été divisés par trois, et on ne compte pas nos heures. On est davantage fatigués physiquement, mais on a une énergie beaucoup plus positive, car on est convaincus de ce que l’on fait, et on sait pourquoi on le fait. »