L’Etat a autorisé la destruction de deux loups supplémentaires d’ici à juin. | © Eric Gaillard / Reuters / REUTERS

La chasse au loup est-elle relancée ? C’est ce que dénoncent les associations de défense de la faune sauvage, alors que les ministres de l’environnement et de l’agriculture ont publié un arrêté interministériel au Journal officiel, mercredi 19 avril, permettant aux préfets de tuer deux loups supplémentaires d’ici à juin. Ségolène Royal promet qu’il sera suivi d’un autre arrêté identique. Ces quatre canidés s’ajouteront aux 36 abattus depuis juillet 2016 – ce qui était jusqu’à présent le plafond officiel des « destructions légales ».

Deux ONG, l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) et One Voice, ont saisi le Conseil d’Etat pour demander l’annulation du texte. « Sur une population estimée à moins de 300, ce nombre de 40 abattages voulus par la ministre met en péril la conservation de l’espèce en France », dénonce dans un communiqué le collectif Cap Loup, qui rassemble trente-huit associations.

« Si les données de 2017 confirment la stabilité de la population cela signifierait qu’on ne pourrait pas tuer davantage de loups, sauf à remettre en cause la viabilité de l’espèce », estime Yvon Le Maho, écophysiologiste

D’autant qu’il faut ajouter « 10 loups trouvés morts depuis juillet 2016, principalement suite à des collisions, et non décomptés par l’Etat » ainsi que le « braconnage invisible », précise-t-il, accusant le gouvernement de « s’acharner contre les loups » et « de bafouer » le statut de protection de l’espèce (au titre de la convention de Berne de 1979 et la directive habitat faune-flore de 1992). La consultation publique organisée avant la publication des arrêtés avait recueilli plus de 13 000 commentaires – un record –, dont la majorité était défavorable.

La Fédération nationale ovine (FNO), quant à elle, « ne veut pas se féliciter », mais estime que « l’arrêté va permettre aux éleveurs de protéger leurs troupeaux dans les mois qui viennent », puisque le plafond pour la saison avait été atteint. « On s’interroge juste sur les dix jours qui se sont écoulés entre la signature du texte et sa publication au Journal officiel : on aurait pu éviter plusieurs attaques en Aveyron notamment », regrette Michèle Boudoin, la présidente.

« Ces tirs politiques, juste avant les élections, ne feront pas baisser la prédation sur le bétail. Ils ne l’ont jamais fait », rétorquent les ONG de protection animale. Elles se réfèrent à l’expertise collective biologique sur le devenir du prédateur dans l’Hexagone, publiée fin mars par quatorze scientifiques sous la coordination du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, et qui avait été commandée par le ministère de l’environnement.

« Zone critique »

Selon ces chercheurs, la mortalité du prédateur, toutes causes confondues, s’est élevée à 22 % par an en moyenne entre 1995 et 2013. Mais pour la période 2014-2016, qui a vu une forte hausse des abattages de loups, elle pourrait avoir atteint le taux de 34 %, seuil à partir duquel les effectifs du canidé cesseront de croître avant de diminuer. « On est dans la zone critique, reconnaissait Yvon Le Maho, écophysiologiste (université de Strasbourg-CNRS), lors de la publication de l’expertise qu’il a présidée. Si les données de 2017 [attendues d’ici à juillet] confirment la stabilité de la population cela signifierait qu’on ne pourrait pas tuer davantage de loups, sauf à remettre en cause la viabilité de l’espèce. »

Surtout, dans ce rapport, les scientifiques affirmaient ne pas pouvoir conclure à l’efficacité des tirs en termes de baisse des dégâts aux troupeaux, faute de recul statistique. Pis, ils s’interrogeaient sur des effets contre-productifs, liés à la déstructuration des meutes, unités sociales très territorialisées. Ils encourageaient alors l’utilisation « d’approches complémentaires », non létales.

Prédation en hausse

La dissuasion, au moyen de chiens de protection et de regroupement nocturne des troupeaux, est déjà employée en France. Mais pour réguler la population lupine, l’Etat s’appuie surtout sur des arrêtés autorisant chaque année, pour la période de juillet à juin, des « prélèvements » – c’est-à-dire l’abattage légal – d’un certain nombre d’individus, au titre de dérogations à leur statut de protection. Or ce plafond ne cesse d’augmenter : en trois ans, il est passé de 24 loups par an à 36, pour atteindre bientôt 40.

Le gouvernement justifie ce choix par la volonté de « protéger les élevages face à la progression du loup ». La population lupine, revenue naturellement dans le parc du Mercantour en 1992 après avoir disparu dans les années 1930, massivement chassée et empoisonnée, était estimée à trente-cinq meutes et 292 individus en 2016. Si son aire de présence s’accroît d’environ 10 % par an, ses effectifs ont marqué pour la première fois le pas l’an dernier.

Reste que les abattages légaux ne parviennent pas à limiter la prédation sur le bétail. Le nombre de brebis tuées par le prédateur s’est progressivement alourdi au fil des années. On en a dénombré 9 788 en 2016, essentiellement dans les Alpes-Maritimes, contre 8 964 en 2015, 4 920 en 2011, 3 800 en 2005 et 1 500 en 2000.

Gestion qui « ne satisfait personne »

« Les éleveurs reçoivent des aides pour financer des mesures de protection, mais elles ne sont pas toujours mises en place, ou pas de manière optimale. Les clôtures ne sont en outre pas assez hautes », dénonce Madline Reynaud, la directrice de l’Aspas. « On ne peut pas nous expliquer notre métier, s’insurge Michèle Boudoin, de la FNO. Mais il est vrai que la gestion des loups ne satisfait personne. Il faut trouver des compromis pour éduquer le prédateur, et prendre en compte la souffrance des éleveurs qui voient leurs bêtes tuées, leur travail anéanti. »

Dans son « Manifeste loup », publié en vue de la présidentielle, la fédération demande notamment à pouvoir « prélever des meutes entières plutôt que des individus », à assouplir le statut de protection de l’animal au niveau européen et que les indemnisations ne soient plus conditionnées à la mise en place de mesures de protection.

Jeudi 20 avril, des groupes de travail rassemblant à la fois éleveurs et associations doivent rendre leurs conclusions sur la manière de permettre la présence du loup en France, dans le cadre d’une mission lancée par la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili. Le consensus risque d’être difficile à trouver.