Editorial du « Monde ». Les circonstances étaient irrésistibles : une opposition travailliste au fond du gouffre, des partenaires européens paralysés pour quelques mois par les élections en France et en Allemagne, et un Brexit encore indolore pour l’économie britannique.

Logiquement, Theresa May n’a pas résisté. Sa décision, annoncée mardi 18 avril, de convoquer des élections législatives anticipées le 8 juin est évidemment un pari, mais un pari que la première ministre conservatrice aborde dans les meilleures conditions possibles, avalant au passage son chapeau puisqu’elle avait promis de ne pas succomber à la tentation du scrutin anticipé.

Une première évidence s’impose : un an à peine après le référendum du 23 juin, qui a engagé la Grande-Bretagne sur la voie du changement institutionnel le plus important depuis quarante ans, cette élection sera celle du Brexit, au détriment de tout autre sujet de politique intérieure britannique.

Le principal avantage que doit retirer Theresa May de la victoire escomptée est qu’elle pourra désormais négocier la sortie de son pays de l’Union européenne (UE) sans craindre les conséquences électorales d’un accord qui ne donnerait pas entière satisfaction aux partisans d’un « hard Brexit » : observer le terme normal de son mandat, en 2020, l’exposait au risque d’un vote sanction sur l’accord de Brexit, qui doit intervenir au plus tard en 2019.

Avec le soutien d’une majorité renforcée jusqu’à 2022 et allégée des « ultras », elle aura les mains libres, sans dépendre de députés jusqu’au-boutistes qui préfèrent l’Australie à l’UE et rêvent d’un Royaume-Uni transformé en paradis fiscal débarrassé de lois sociales et fermé aux immigrés.

Renforcer sa légitimité

Pour les Vingt-Sept, ces élections anticipées présentent aussi, a priori, une perspective positive. Une négociation aussi complexe et aussi politiquement chargée que celle du Brexit devrait se conduire plus aisément avec un gouvernement britannique qui n’a pas à regarder sans cesse derrière son épaule. L’éloignement de l’échéance électorale suivante permet par ailleurs d’envisager la possibilité d’arrangements transitoires après l’accord de 2019 et donc fournit un peu plus de flexibilité aux négociateurs.

Bruxelles a cependant fait savoir, à raison, que le scrutin britannique, quel que soit son résultat, ne changerait rien à la manière dont l’UE aborde les négociations du départ du Royaume-Uni. L’UE, en effet, n’ignore pas que ces élections anticipées ont pour objet de renforcer la légitimité de Mme May, qui avait simplement hérité du mandat de M. Cameron après l’échec de ce dernier au référendum, et de lui donner plus de poids face aux Vingt-Sept.

Si, le 9 juin, Theresa May se présente avec une majorité tory renforcée d’une centaine de sièges, comme le laissent prévoir certains sondages, la marche pour le Brexit sera clairement irréversible et verrouillée. C’est une assurance pour elle, dans l’éventualité où les dégâts du Brexit sur l’économie britannique rendraient ce retrait moins populaire d’ici deux ans.

Comme tout pari, celui de Theresa May comporte aussi des risques. Le danger majeur est celui du Royaume désuni : le sentiment pro-européen de l’électorat écossais et nord-irlandais, qui a voté majoritai­rement contre le Brexit en 2016, n’a pas faibli. La première ministre écossaise, l’indépendantiste Nicola Sturgeon, n’a laissé mardi aucun doute sur son intention de faire le meilleur usage de ces sept semaines de campagne.