Gérard Courtois, éditorialiste au Monde a répondu aux questions des internautes après la publication de la nouvelle enquête électorale du Cevipof réalisée les 16 et 17 avril. A quelques jours de la fin de la campagne officielle pour l’élection présidentielle, elle confirme la compétition extrêmement serrée entre François Fillon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.

Fabien : Comment évoluent les « sûretés de choix » pour les quatre principaux candidats ?

Gérard Courtois : C’est une question essentielle. A moins d’une semaine du premier tour, il subsiste deux très gros facteurs d’incertitude qui imposent de rester très prudents sur les intentions de vote indiqués par l’ensemble des sondages.

D’une part, l’enquête du Cevipof indique un taux de participation le 23 avril de 72 %. Cette intention a progressé de 6 points en quinze jours mais il reste encore 28 % des électeurs qui ne sont pas certains d’aller voter, soit un niveau équivalent à celui de 2002 qui était un record. D’autre part, parmi les électeurs certains d’aller voter, il s’en trouve également 28 % qui ne sont pas sûrs de leur choix. Les électorats de Marine Le Pen (84 % de sûreté du choix) et de François Fillon (81 %) sont encore les plus solides.

Emmanuel Macron a fortement progressé puisque 74 % de ses électeurs potentiels sont sûrs de leur choix (en progression de 40 points depuis début février et de 13 points durant les quinze derniers jours). Le candidat d’En marche ! semble donc pouvoir corriger ce qui apparaissait jusqu’à présent comme un de ses principaux handicaps. Jean-Luc Mélenchon consolide également les intentions de vote en sa faveur, au-delà même de sa percée depuis un mois. La sûreté du choix de ses électeurs a progressé de 10 points à 70 %. Benoît Hamon est là encore distancé : 61 % seulement de ses électeurs se disent sûrs de leur choix.

Arthur : L’écart entre Macron-Le Pen et Fillon-Mélenchon se resserre mais reste élevé. La situation peut-elle toujours se renverser à quatre jours du scrutin ?

Oui, tout reste possible. Les deux favoris Le Pen et Macron ont certes vu leurs soutiens s’éroder durant la dernière quinzaine : avec 23 % des intentions de vote, Macron recule de deux points et devance désormais Le Pen qui recule, elle, de 2,5 points à 22,5 %. A l’inverse, les deux challengers ont l’un et l’autre progressé durant la dernière période : c’est le cas pour Fillon qui recueille désormais 19,5 % des intentions de vote (+2 points) et surtout Mélenchon qui progresse de 4 points depuis quinze jours et de 7,5 points depuis un mois et talonne désormais le candidat du parti Les Républicains avec 19 %.

La marge d’erreur pour un échantillon de 8 300 personnes (celles qui sont sûres d’aller voter) est de l’ordre de 1 %. Si l’on tient compte de cette marge, les quatre candidats pourraient se retrouver le soir du premier tour dans un mouchoir de poche autour de 20 % à 22 %.

Sur le papier, Mélenchon et Fillon peuvent donc encore espérer se qualifier pour le second tour. Toutefois, Mélenchon est porté par une réelle dynamique et il lui faut compter sur son prolongement jusqu’au jour du scrutin, tandis que Fillon parait surtout consolider son électorat de base sans parvenir à l’élargir. Il reste que lorsqu’on interroge les Français sur le résultat qui leur parait le plus probable, l’écart reste très grand entre les deux favoris et leurs deux concurrents : 60 % voire plus jugent probable la qualification de Macron et Le Pen contre 36 % pour Mélenchon et 30 % pour Fillon.

Laurent : L’enquête Cevipof prend-elle en compte l’abstention différenciée notamment pour les intentions de vote au second tour ? Il me semble que ce phénomène est largement sous-estimé (et que l’effet plafond de verre du FN est lui largement surestimé).

C’est une question essentielle. Pour l’instant, nous avons testé les six hypothèses plausibles de second tour entre Le Pen, Macron, Mélenchon et Fillon. Dans tous les cas de figure, la candidate du Front national est plus ou moins largement battue. Mais l’on sait que la dynamique du second tour reste largement indicative tant que l’on ne connaît pas les résultats du premier.

Selon l’ordre d’arrivée, les scores des deux finalistes et les soutiens éventuels que leur apporteront les battus, la dramaturgie du second tour peut varier du tout au tout. Il est donc prématuré de spéculer sur le niveau d’abstention différenciée au détriment des deux candidats qualifiés. Mais il est certain que ce sera un facteur-clé du résultat final.

Nathanael : A-t-on déjà pu mesurer la valeur d’influence des résultats d’un sondage sur l’opinion publique ?

Nous avons posé la question aux Français de savoir s’ils tiennent compte ou non des résultats des sondages pour faire leur choix. Les deux tiers (67 %) assurent qu’ils n’en tiennent pas compte, 23 % qu’ils en tiennent moyennement compte et 10 % qu’ils en tiennent compte.

On leur a également demandé si les intentions de vote publiées par les sondages pour chaque candidat sont inférieures, identiques ou supérieures au résultat réel qu’il obtiendra. Autrement dit, s’ils jugent que les sondages avantagent ou désavantagent tel ou tel candidat. Le candidat le plus avantagé par les sondages est actuellement, aux yeux des sondés, Jean-Luc Mélenchon : 28 % estiment que les sondages lui accordent un score supérieur à celui qu’il obtiendra. En revanche, François Fillon apparaît comme le plus sous-estimé par les sondeurs : 40 % des Français estiment que les intentions de vote qui lui sont accordées sont inférieures à ce que sera son résultat.

Caro Paris : En quoi votre enquête est-elle plus fiable que d’autres sondages ? Comment l’échantillon a-t-il été choisi ? Les personnes interrogées ont-elles été rémunérées ?

Cette enquête électorale a été conçue par le Centre de recherche de Sciences Po (Cevipof). C’est un premier gage de sérieux. Elle repose sur l’interrogation depuis novembre 2015 d’un très important panel d’électeurs constituant un échantillon national représentatif de la population française.

Initialement, ce panel comptait 24 000 personnes ; dix-huit mois plus tard, 11 600 d’entre elles sont restées fidèles au poste parmi lesquelles 8 300 se disent certaines d’aller voter. Cela constitue un échantillon de votants très supérieur à tous les autres sondages réalisés actuellement et limite d’autant, en principe, la marge d’erreur : pour un tel échantillon, elle est d’à peine 1 % quand elle atteint 3 % pour un échantillon de 1 000 personnes.

Ces gens sont interrogés par Internet, ce qui constitue de l’avis de tous les spécialistes le moyen le plus sûr aujourd’hui de pouvoir toucher toutes les catégories de Français.

Les personnes qui participent à ce panel ne sont pas rémunérées.

Manu : Y-a-t-il dans cette étude l’analyse des seconds choix possibles pour les indécis, ce qui permettrait de connaître le potentiel electoral de chacun ?

La réponse est oui. Nous avons posé cette question pour les électeurs des principaux candidats qui ne sont pas sûrs de leur choix. Emmanuel Macron apparaît comme le principal réceptacle des seconds choix des électeurs de tous les autres candidats. Il recueillerait ainsi 30 % des seconds choix Mélenchon, 35 % des seconds choix Hamon et 53 % des seconds choix Fillon, ce qui lui donne le meilleur potentiel de vote à 26 %.

Jean-Luc Mélenchon, de son côté, pourrait recueillir 50 % des seconds choix Hamon, 28 % des seconds choix Le Pen et 26 % des seconds choix Macron, ce qui porte son potentiel électoral à 21,5 %. Marine Le Pen serait le second choix de 31 % des électeurs de Dupont-Aignan, de 21 % de ceux de Fillon et de 11 % de ceux de Mélenchon.

Jason Bourne : Les fameux « indécis » dont il est souvent fait référence, sont-ils des « girouettes » ?

Je ne crois pas, même s’il est pour le moins paradoxal, par exemple, d’hésiter entre Mélenchon et Macron tant leur programme et leurs orientations sont opposées.

L’indécision actuelle de bon nombre d’électeurs résulte d’une situation de décomposition accélérée du paysage politique. Bien des ressorts habituels d’une présidentielle se sont détraqués. Elimination de bon nombre de favoris (Juppé, Sarkozy, Valls), renoncement du président sortant à se représenter, candidate du Front national en position de favorite, affaires judiciaires mettant en cause deux des principaux candidats, fractures de la gauche après un quinquennat raté : il n’est pas très surprenant que bien des Français soient désorientés et tourneboulés.

Binou : Vers quel(s) candidat(s) se reportent les intentions de vote perdues par Marine Le Pen ?

La baisse de Marine Le Pen résulte d’une part d’une moindre mobilisation en sa faveur, qui semble confirmer le flottement de sa campagne depuis une quinzaine de jours. Elle a de ce côté perdu 1,5 point. D’autre part, elle a perdu 1 point qui s’est reporté pour moitié sur Mélenchon et pour moitié sur Fillon. Il n’y a pas véritablement de retour au bercail de la droite d’électeurs tentés un moment de rejoindre la candidate du FN.

Gigi : D’après des études sur les dernières élections présidentielles, existe-t-il une ou des tendances dans le choix final des indécis de la dernière semaine, plutôt « gros » candidat que « petit », plutôt candidat modéré qu’extrémiste ?

Pour autant que je me souvienne, il n’y a pas de règle automatique. Tout dépend de la campagne spécifique, de sa dynamique et de celle des différents candidats. En 2002, par exemple, il est manifeste que des petits candidats, comme Olivier Besancenot ou Christiane Taubira, ont bénéficié fortement des quinze derniers jours de campagne officielle : ils ont l’un et l’autre fait mouche dans les émissions télévisées et ont, en peu de temps, doublé ou davantage leur score.

A l’inverse, en 2012, la fin de campagne de premier tour a été dominée par les réflexes de vote utile en faveur de Hollande pour battre Sarkozy ; c’est ainsi que Mélenchon, crédité un mois avant de 17 % des intentions de vote, n’en a finalement recueilli que 11 %.