Theresa May, la première ministre britannique, à Londres, le 19 avril. | HANDOUT / AFP

Des élections législatives anticipées se dérouleront le 8 juin au Royaume-Uni. La première ministre britannique, Theresa May, compte ainsi asseoir sa légitimité avant les négociations du Brexit. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a estimé que le début « réel » des négociations aurait lieu après le scrutin de juin. Philippe Bernard, notre correspondant à Londres, a répondu, le 19 avril, aux questions des internautes.

Victor : Une large victoire des pro-Europe pourrait-elle conduire à un retour en arrière concernant le Brexit ?

Philippe Bernard. C’est une hypothèse fort peu probable pour la simple raison qu’il n’existe pas de véritable force politique proeuropéenne. Les conservateurs, qui étaient divisés sur le Brexit, se rangent pour l’instant derrière Theresa May. Le Labour Party [Parti travailliste] a fait campagne contre le Brexit, mais accepte aujourd’hui sa logique pour ne pas contrarier son électorat populaire. Seuls les LibDems et les Verts (respectivement 10 % et 4 % des intentions de vote) militent clairement pour un nouveau référendum destiné à annuler le premier. Theresa May convoque des élections pour asseoir sa légitimité et signifier qu’il n’y aura pas de retour en arrière.

Armel : Theresa May a-t-elle des chances d’obtenir cette majorité au Parlement ? Le peuple britannique soutient-il encore massivement le Brexit ?

Oui, c’est le plus probable. Elle a choisi de convoquer des élections anticipées parce que le moment est extrêmement propice pour elle. Son parti, les conservateurs, est crédité de 43 % des intentions de vote alors que le Parti travailliste n’attirerait que 25 % des électeurs. La victoire de Theresa May ne fait guère de doute, mais son ampleur reste incertaine. Quant au Brexit, les Britanniques n’ont guère changé d’avis. Un sondage du 13 avril indique que 51 % d’entre eux pensent qu’ils ont eu raison de choisir la sortie de l’Union européenne (UE).

Eric R. : Ces législatives seront-elles un nouveau référendum pour les pro et les anti-Brexit ?

Les conservateurs et les travaillistes prétendent qu’il n’en sera rien, affirmant que le vote se fera sur les questions de politique intérieure (notamment éducation et santé). En acceptant le principe de l’élection anticipée, Jeremy Corbyn, le chef du Parti travailliste, n’a même pas mentionné le Brexit. Pourtant, tout permet de penser que le Brexit et notamment les inquiétudes économiques qu’il suscite, sera au centre de l’élection.

Roger : Des conservateurs sont pour un « soft Brexit ». Est-ce possible que ces conservateurs se présentent dans leur circonscription et, s’ils gagnent et sont majoritaires, poussent Theresa May à prendre le pli d’un « soft Brexit » ou poussent un autre premier ministre qui serait en faveur d’un « soft Brexit » ?

Pour l’instant, les différences entre « soft » et « hard » Brexit sont effacées au Parti conservateur. Tout le monde est aligné derrière la première ministre qui défend une rupture franche, même si elle a mis de l’eau dans son vin récemment. Il est difficile de prédire si les élections anticipées vont favoriser l’une ou l’autre tendance. Le plus probable est que Theresa May s’en serve pour faire taire les ultras du Brexit, qui veulent couper les ponts avec l’UE et transformer le Royaume-Uni en paradis fiscal « libéré » de la protection sociale. Dans ce cas, un accord raisonnable pourra être trouvé. Mme May répète d’ailleurs qu’elle souhaite « un partenariat profond et spécial » avec l’UE. La seule chose à peu près sûre est que les élections du 8 juin vont renforcer son pouvoir personnel.

Giggsy : Cette annonce, qui peut sembler surprenante vue d’outre-Manche, a-t-elle pris les politiques et les analystes de court ? Et, plus généralement, comment ont réagi les Britanniques ?

Le secret était extraordinairement bien gardé et la surprise a été totale. D’autant qu’à cinq reprises Theresa May avait exclu l’hypothèse d’élections anticipées, expliquant que le pays avait besoin de « stabilité ». Aucune enquête d’opinion n’est encore parue sur la réaction des Britanniques, mais des personnes interrogées dans les médias témoignent de leur lassitude à la perspective d’un nouveau vote : le troisième en moins de trois ans (législatives de 2015, référendum de 2016 et nouvelles législatives le 8 juin). Le caractère « politicien » et purement tactique de Mme May est aussi dénoncé par certains.

Gauthier : N’est-il pas suicidaire pour Theresa May de mener campagne en pleines négociations sur le Brexit, dont le délai de deux ans est déjà jugé court pour l’obtention d’un accord ?

Je ne pense pas car elle a habilement choisi la date – le 8 juin – pour que la campagne ait lieu avant que ne débutent les négociations avec l’UE. Elle profite d’un creux dans le calendrier du Brexit. Elle a fait ce choix car elle sait que les négociations sur les futures relations commerciales avec l’UE vont durer bien plus que les deux ans impartis au règlement du divorce proprement dit. Elle sait qu’il faudra alors accepter des compromis impopulaires et qu’il vaut mieux pour elle qu’il n’y ait pas d’élections à ce moment-là, dans les années 2019-2020. Le mandat des députés est de cinq ans et en repoussant de 2020 à 2022 les élections suivantes, elle gagne donc deux années.

Aurélie (une Française qui habite à Londres) : Ces élections anticipées vont-elles accélérer le temps des négociations ? Ils parlent de deux ans mais est-il possible que ce soit plus rapide, dès juin 2017 ?

A priori non. Le délai de deux années pour le règlement de la rupture est inscrit dans l’article 50 du traité de Lisbonne (qui prévoit une possible prolongation si tout le monde est d’accord). Ce qui sera plus long, ce sont les discussions sur les futures relations commerciales. Les Britanniques prétendent obtenir l’accès au marché unique ; les Européens ne peuvent l’accepter sans contrepartie. Tout cela peut durer cinq ans ou plus.

Pibou : Concrètement, qu’apportera une majorité parlementaire forte pour les négociations sur le Brexit ?

Theresa May estime probablement qu’une majorité nette lui donnera plus de légitimité et de poids dans la négociation avec l’UE, en signifiant qu’elle a le pays derrière elle (rappelons qu’elle a accédé au pouvoir sans avoir elle-même affronté les urnes). Mais on peut penser que l’UE a une logique propre d’autopréservation (refus de tout avantage à un pays situé hors de l’UE) qui ne peut s’encombrer des considérations de politique intérieure de chaque pays, a fortiori du Royaume-Uni sur le départ.

Arnaud : Depuis la France, on ne comprend pas bien comment vous comptez intégrer l’Ecosse et l’Irlande du Nord dans vos négociations. Cette élection est-elle un passage en force pour les contraindre ? Ne craignez-vous pas une explosion du Royaume-Uni ?

C’est le grand impensé de ces élections anticipées ! Elle vont avoir lieu alors que les deux « nations » qui ont refusé le Brexit sont déstabilisées : l’Irlande du Nord par une crise politique qui la prive de gouvernement depuis près de deux mois et l’Ecosse avec la promesse de sa première ministre, Nicola Sturgeon, d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Plutôt que de les contraindre à rentrer dans le rang, le scrutin du 8 juin risque de souligner leur tendance centrifuge en confirmant leur vote pour des élus favorables au maintien dans l’UE. D’où un risque aggravé d’implosion : tentation d’une unification de l’Irlande et de l’indépendance en Ecosse.

Stef974 : Quel peut être l’enjeu des élections pour l’Ecosse ?

La première ministre écossaise, Nicola Sturgeon (indépendantiste), a qualifié la décision de Mme May de « mauvais calcul énorme ». Et, en effet, les élections vont probablement permettre aux Ecossais de montrer leur différence. Le Parti national écossais (SNP – Scottish National Party) de Mme Sturgeon détient déjà 56 des 59 sièges de députés écossais au Parlement de Westminster et les conservateurs, en dépit de progrès récents, y sont impopulaires. Tous les partis politiques vont aux législatives munis d’un programme qui fait référence. L’indépendance de l’Ecosse figurera certainement sur celui du SNP, puisque Mme Sturgeon a promis l’organisation d’un second référendum sur cette question. Si le Parti nationaliste confirme son excellent résultat de 2015, il pourra s’en prévaloir pour forcer Mme May à accepter ce second référendum sur l’indépendance. Rappelons que les Ecossais ont voté à 62  % pour rester dans l’UE et que cette particularité justifie aux yeux des nationalistes la revendication de l’indépendance pour que l’Ecosse ne soit pas « exclue de l’UE contre son gré ».

Petit futé : Que se passera-t-il si Theresa May perd ces législatives anticipées ?

Elle devra quitter le pouvoir. Mais c’est hautement improbable. Rarement un premier ministre britannique a été dans une telle position de force.

Julien : Quel est l’intérêt pour le Labour de Jeremy Corbyn d’accepter cette élection anticipée ? N’aurait-il pas été plus pertinent pour lui d’éviter une Berezina en votant contre ces élections ?

Nombre d’élus travaillistes, qui craignent de perdre leur circonscription en raison de la faiblesse de son leadership, lui font ce reproche. Pratiquement incompréhensible sur le Brexit, sa position consiste à faire comme si l’élection allait se jouer sur les thèmes de prédilection du Labour, comme l’école, la santé et la protection sociale. Mais, même sur ces sujets, les électeurs font davantage confiance à Theresa May. Le parti est dans un tel état de division et de chaos que l’on voit mal son intérêt à accepter les élections anticipées. Arithmétiquement, le Labour aurait d’ailleurs pu les empêcher puisqu’une majorité des deux tiers est nécessaire. Mais le principe des élections a été approuvé aux Communes par 522 voix contre 13. Avec M. Corbyn, les travaillistes ont donc choisi de ne pas se dérober.

Jean-Philippe : Theresa May peut-elle se permettre d’être aussi confiante dans sa majorité politique ? Cette décision ne risque-t-elle pas de s’apparenter au fameux « J’ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale » de Jacques Chirac ?

La décision de Mme May rappelle en effet aux Français la dissolution de 1997 catastrophique pour Jacques Chirac. Sa motivation est comparable. Mais pas le contexte politique qui est celui d’une domination historique du Parti conservateur et d’une crise profonde du Labour à la veille d’une négociation (le Brexit) présentée comme la plus difficile pour le pays depuis 1945.

FrenchmanInLanashire : Cette énième visite aux urnes depuis les européennes de juin 2014 ne va-t-elle pas provoquer un ras-le-bol démocratique se traduisant par une forte abstention ?

Absolument. Les échéances électorales se sont multipliées, au risque de lasser les électeurs. C’était d’ailleurs l’un des arguments qu’employait Mme May jusqu’à peu pour jurer qu’elle ne ferait pas de législatives anticipées ! Chacun s’attend donc à un fort taux d’abstention le 8 juin, avec des conséquences électorales pas nécessairement favorables à la première ministre.