Dix-neuf longs-métrages parmi lesquels cinq français, cinq américains et trois italiens, deux programmes de courts-métrages, un hommage particulier au cinéaste allemand Werner Herzog : la Quinzaine des réalisateurs, principale section parallèle du Festival de Cannes, qui aura lieu cette année du 18 au 28 mai, a révélé, jeudi 20 avril au matin, sa sélection, au cinéma Grand Action à Paris. Edouard Waintrop (ex-journaliste à Libération, 64 ans) qui mène depuis maintenant six ans les destinées de la manifestation avec une appréciable décontraction, confiait en aparté que ce lieu lui était cher, puisque c’est ici, en 1967, qu’il en finit définitivement avec les cours de mathématiques, en les séchant pour découvrir le cinéma d’Alfred Hitchcock et inaugurer une carrière de cinéphile qu’il exerce encore aujourd’hui.

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L’esprit de la Quinzaine, initié par son créateur Pierre-Henri Deleau, se perpétue avec Edouard Waintrop : son ouverture à l’expérimentation

Cette forte tête n’en imprime pas moins une cohabitation relativement harmonieuse avec la Sélection officielle, vis-à-vis de laquelle il se définit plus dans une complémentarité que dans un conflit plus ou moins artificiellement entretenu. C’est finalement l’esprit de la Quinzaine, initié par son créateur Pierre-Henri Deleau, qui se perpétue avec Waintrop, qui joue avec subtilité du standing de la Sélection officielle et des failles qu’il induit pour affirmer ce qui a toujours rendu précieuse la Quinzaine aux yeux des cinéphiles : son ouverture à l’expérimentation. Dominée par les mêmes caractéristiques que la Sélection officielle – omniprésence des cinématographies française et américaine, absence surprenante de l’Inde et de la Chine, raréfaction de l’Amérique du Sud –, la Quinzaine parvient pourtant à faire entendre sa différence.

« Etonnement » et « surprise »

La tendance est particulièrement sensible avec la sélection française, qui répond au quartette de compétition Haneke/Hazanavicius/Campillo/Doillon par le quintette Philippe Garrel (L’Amant d’un jour)/Claire Denis (Un beau soleil intérieur)/Bruno Dumont (Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc)/Carine Tardieu (Otez-moi d’un doute)/Sonia Kronlund (Nothingwood). Soit une gamme a priori plus étrange, excentrique et mystérieuse. L’« étonnement » et la « surprise » – deux des mots visiblement les plus appréciés du délégué artistique – y jouent à plein.

Claire Denis, qui ne fait pas ordinairement dans le sentiment primesautier, signe ainsi une comédie lointainement inspirée de Roland Barthes, scénarisée par Christine Angot, interprétée notamment par Gérard Depardieu et Juliette Binoche. Le film, qui attise pour le moins la curiosité, fera l’ouverture de la manifestation. Bruno Dumont revient, quant à lui, avec une comédie musicale rock inspirée par Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, de Charles Péguy, pas moins. Carine Tardieu signe, selon l’expression de Waintrop, « une vraie comédie populaire ». Quant à Sonia Kronlund, productrice à France Culture, elle revient d’Afghanistan avec le portrait documentaire d’un cinéaste de série Z !

Côté Etats-Unis, l’indépendance est à l’honneur et les films brossent le portrait d’un pays en crise profonde

Côté Etats-Unis, l’indépendance est à l’honneur et les films brossent selon toute apparence le portrait d’un pays en crise profonde. Dans la dystopie Buchwick, Cary Murnion et Jonathan Milot imaginent la guerre civile en plein Brooklyn. Dans The Florida Project, Sean Baker filme des enfants vivant en marge du parc Disneyland. Dans The Rider, de Chloé Zhao, c’est tout à la fois l’univers des rodéos et des Indiens d’Amérique qui est revisité. Dans Patti Cakes, premier long-métrage de Geremy Jasper, c’est à une radiographie de la jeunesse provinciale américaine que nous serons conviés.

L’Italie à l’honneur

L’Italie est, cette année, également à l’honneur, avec trois titres présentés comme l’expression d’une poursuite contemporaine du néo-réalisme : Cuori Puri, de Roberto de Paolis, L’intrusa, de Leonardo di Costanzo, A Ciambra, de Jonas Carpignano. L’Indonésie sera aussi de la partie, avec le censément « décoiffant » Marlina Si Pembunuh Dalam Empat Babak, de Mouly Surya. La Zambie de même, ce dont on ne peut que se réjouir pour le continent africain, avec I Am Not a Witch, de Rungano Nyoni. Amos Gitaï, conscience progressiste d’Israël, revient, quant à lui, cinquante ans après la guerre des six jours, avec le documentaire West of the Jordan River.

Enfin, parmi les surprises, virages et autres incongruités si appréciés d’Edouard Waintrop, citons le retour du Lituanien Sharunas Bartas, esthète radical s’il en est, en cinéaste engagé (sur le front ukrainien) dans Frost. Ou encore Maître Abel Ferrara qui s’institue documentariste de lui-même en rocker dans Alive in France, tournée musicale qu’il entreprit sous nos cieux l’an dernier. Ces cieux – en ce monde et en ce pays où il est devenu « si difficile de rêver » pour reprendre les mots de Waintrop – sont enfin l’occasion de rendre hommage à la magnifique affiche de la Quinzaine. C’est une photographie de l’artiste mexicaine Graciela Iturbide prise à Cinecitta, qui saisit en contre-plongée un ciel nuageux dévorant le cadre, où un bout d’enseigne tronquée, comme suspendue dans l’air, inscrit toutefois le mot « sogno » (« rêve »).

Sur le Web : www.quinzaine-realisateurs.com/fr/edition-2017