Les électeurs américains votent sur des machines de vote électroniques, le 25 octobre 2016, à Provo (Utah). | GEORGE FREY / AFP

Imagine-t-on, en France, un candidat à la présidentielle niant la réalité du réchauffement climatique ? Le scandale serait immédiat. A droite comme à gauche, et malgré quelques allusions fleurant ici ou là le climatoscepticisme, l’existence même du problème ne souffre quasiment aucune contestation. Et les candidats ont pu, durant la campagne, confronter leurs propositions sur les différentes manières de lutter contre cette catastrophe annoncée. Mais que de temps il a fallu pour en arriver là ! Et dans un tout autre domaine, le numérique, le pseudo-scepticisme a encore de beaux jours devant lui.

Sur le chiffrement, par exemple : il existe – fait rare – un consensus scientifique quasi parfait pour dire qu’introduire à dessein des « portes dérobées » permettant aux gouvernements de surveiller les communications est une hérésie technique dangereuse. Ce qui n’a pas empêché les gouvernements français, américain, britannique et allemand de claironner, à de multiples reprises, qu’ils comptaient bien l’imposer. Avant de renoncer, en catimini, à chaque fois.

Les dangers du mégafichier TES

Il en fut de même pour le vote électronique. Selon tous les chercheurs en sécurité informatique, il est impossible de garantir la sécurité totale d’un scrutin en ligne. Mais il aura fallu les soupçons d’ingérence russe dans la campagne américaine pour que les Pays-Bas se décident à faire marche arrière pour leurs législatives – en France, le vote pour les Français de l’étranger a été abandonné à la dernière minute pour les mêmes raisons. Aux Etats-Unis, des soupçons de fraude dans certains Etats lors de la ­présidentielle ont relancé le débat sur les machines à voter – jugées unanimement mal sécurisées par tous les spécialistes ­depuis des années.

Même histoire, ou presque, pour la création du mégafichier TES, qui rassemble toutes les données des cartes d’identité et des passeports français : malgré tous les avertissements des experts, qui estiment qu’une telle concentration de données personnelles est structurellement dangereuse, le ­ministère de l’intérieur est passé outre.

­« L’intendance suivra »

Sans sombrer dans la technocratie la plus basique, ni penser que la politique doive s’effacer devant des arguments techniques, cette attitude réitérée est tout de même surprenante. Et plus encore dans un pays, la France, qui revendique un esprit cartésien. Est-ce parce que les technologies du numérique sont complexes et techniques ? Les sciences du climat ne le sont pas moins. Faut-il alors invoquer le romancier Arthur C. Clarke, selon qui « toute technologie suffisamment avancée est indissociable de la magie » ? Les responsables politiques illustreraient-ils ce précepte en pensant qu’il suffit d’afficher une conviction pour que la technologie suive, dans une version numérique de la fameuse expression ­« l’intendance suivra » ?

Chercheurs et ingénieurs ont en tout cas régulièrement l’impression que le pouvoir attend d’eux, justement, qu’ils fassent de la magie. En 2015, lorsque le FBI avait demandé à Apple de ménager un accès privilégié au contenu des iPhones, une blague avait fait florès chez les spécialistes de la sécurité ­informatique : l’histoire d’un directeur du FBI qui exige qu’on lui apporte une licorne et se voit répondre par des ingénieurs que cela n’existe pas, avant que le gouvernement ne s’en mêle et intime l’ordre aux ­ingénieurs de la boucler et de dire où l’on peut trouver la licorne.