L’entraîneur monégasque Leonardo Jardim félicite ses joueurs, mercredi 19 avril, lors de leur victoire (3-1) contre le Borussia Dortmund, en quarts de finale retour de Ligue des champions. | BORIS HORVAT / AFP

Et Leonardo Jardim, habituellement si mutique, esquissa un sourire. L’écran géant du Stade Louis II indiquait la 17ème minute de la partie et l’entraîneur portugais de l’AS Monaco, le poing serré, ne put masquer son euphorie. D’une tête piquée, son capitaine Radamel Falcao venait alors de doubler la mise contre les Allemands du Borussia Dortmund, mercredi 19 avril, en quarts de finale retour de Ligue des champions. Un quart d’heure après une première banderille plantée par le prodige Kylian Mbappé, dix-huit ans, le but du Colombien enterrait définitivement les espoirs des joueurs de la Ruhr, battus (3-2) à domicile, une semaine plus tôt, et marqués par l’attentat ayant visé leur bus avant la joute au BVB Stadion.

Quand Valère Germain a inscrit le but de la victoire (3-1), Jardim, extatique, a couru le long de la ligne de touche pour féliciter ses joueurs. Ovationné par les 18 000 spectateurs de « Louis II », le coach monégasque a applaudi à son tour le public avant de filer en conférence de presse. Flottant dans sa parka noire, le Lusitanien, 42 ans, n’a pas fanfaronné face aux journalistes. « On n’a rien gagné, mais on a fait l’histoire, a déclaré l’entraîneur, qui retrouvera, début mai, dans le dernier carré soit la Juventus Turin, son bourreau en quarts en 2015, soit le Real Madrid ou l’Atlético Madrid, les deux finalistes de l’édition précédente. Nous ne sommes pas favoris, mais nous allons jouer la demie avec la même ambition que les quarts, avec l’envie de nous qualifier. »

Pourtant, issue du troisième tour préliminaire, l’ASM est la première équipe française, depuis l’Olympique lyonnais en 2010, à parvenir à se hisser dans le dernier carré de la plus prestigieuse des compétitions européennes. « Cette Ligue des champions, c’est aussi celle de la France, qui n’a pas l’habitude d’aller en demi-finale de cette compétition. On représente un pays », a insisté Jardim. Comme en 1994 (revers face au Milan AC), 1998 (élimination par la Juventus Turin) et en 2004 (défaite en finale contre Porto), la formation du rocher figure dans le top 4 continental.

« Méthode écologique »

Le mérite en revient essentiellement à l’austère entraîneur, arrivé sur la pointe des pieds dans la Principauté à l’été 2014, après le limogeage de l’Italien Claudio Ranieri. A l’époque, l’ex-coach de Braga (2011-2012) et du Sporting Lisbonne (2013-2014) est moqué pour sa frilosité tactique, son faciès de Droopy taciturne, ses cheveux coupés à ras et sa maîtrise imparfaite du français.

Sans broncher, Jardim incarne alors le tournant de la rigueur voulu par le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, propriétaire de l’ASM depuis 2011 et désireux d’éponger un déficit de 100 millions d’euros enregistré au terme de l’exercice 2013-2014. D’où la vente du Colombien James Rodriguez au Real Madrid contre 90 millions d’euros et le prêt de son compatriote Falcao à Manchester United.

En cette période de vaches maigres, l’entraîneur portugais puise dans le vivier du centre de formation de l’ASM et met en place sa fameuse « méthode écologique », axée sur la « mise en situation » et une « approche globale » du football. « En natation, le plus important, c’est le physique pour gagner en rapidité. Au foot, le plus important, c’est d’avoir une équipe, où tout le monde donne son meilleur, s’entraide et va dans le même sens, détaillait l’entraîneur au Monde, en novembre 2016. La condition physique, ce n’est pas le plus important.. Tu peux tuer tout le système de ton équipe avec trop de travail physique. C’est la même chose si tu veux changer le biotype d’un joueur de qualité, rapide et technique, en le rendant plus fort et musclé. C’est comme si tu voulais changer le PH [potentiel hydrogène] d’une rivière. Tu peux tuer tout l’écosystème : les poissons peuvent sortir, les ­algues peuvent mourir. »

Machine à marquer

Quart de finaliste de la Ligue des champions en 2015, troisième de Ligue 1 en 2015 et 2016, Jardim devient, peu à peu, un technicien respecté dans l’Hexagone. Et ce même si le trophée récompensant le meilleur entraîneur français lui échappe encore. Véritable marche triomphale, cet exercice 2016/2017 confirme le bien fondé de la « méthode » du Portugais, qui s’appuie au quotidien sur ses deux lieutenants Antonio Viera et Nelson Caldera, eux aussi originaires de Madère.

Grand lecteur du sociologue et philosophe français Edgar Morin, dépeint en interne comme pointilleux et soucieux du moindre détail, Jardim a fait de l’ASM une machine à marquer (141 buts cette saison toutes compétitions confondues), une formation qui régale l’Europe par l’esthétisme de son jeu. S’ingéniant à relancer le vétéran (31 ans) Falcao, de retour de prêt, le Portugais a su créer un équilibre entre des cadres expérimentés (le milieu Joao Moutinho, le gardien Danijel Subasic, le défenseur polonais Kamil Glik) et une myriade de jeunes talents (Kylian Mbappé, Thomas Lemar, Bernardo Silva, Benjamin Mendy pour ne citer qu’eux).

La démonstration de force de l’ASM contre le Borussia Dortmund souligne les vertus de la stratégie du technicien. « On a fait un match très costaud avec maîtrise et ambition. On n’a jamais voulu garder le résultat. On a toujours voulu attaquer pour marquer. Notre ADN est le football d’attaque », a assumé Jardim après la rencontre. Encensé par ses dirigeants, l’ex-étudiant à l’Université de Madère vient de réussir là où le grand rival, le Paris-Saint-Germain (580 millions d’euros de budget prévisionnel contre 160 pour Monaco) version qatarie, a échoué en s’effrondrant (6-1) au Camp Nou contre le FC Barcelone, en mars : se qualifier pour les demi-finales de la Ligue des champions.

Ultime virage

Symbole d’un « projet Rybolovlev » consolidé et enfin lisible, Jardim va devoir désormais jouer sur trois tableaux (Ligue des champions, Ligue 1, Coupe de France) lors d’une fin de saison aussi trépidante que risquée. Battue (4-1) en finale de Coupe de la Ligue par le PSG, l’ASM retrouvera l’équipe de la capitale, le 26 avril, en demi-finales de Coupe de France. Leader du championnat (avec le même nombre de points que les Parisiens mais avec un match en moins) à cinq journées de son terme, le club de la Principauté espère sortir vainqueur de son mano a mano avec son rival. Et ainsi enfin remporter un trophée majeur, qui lui échappe depuis 2003.

Dans cet ultime virage où son équipe peut perdre des plumes, Jardim va devoir veiller sur l’état de fraîcheur de ses troupes. « Il faut bien gérer la fatigue. Mais le coach le fait très bien. Il est au plus haut », a souri Vadim Vasilyev, le vice-président de l’ASM. « A choisir ? C’est normal de préférer gagner la Ligue des champions. Mais c’est plus difficile que de gagner le championnat. On va essayer d’aller jusqu’à nos limites dans les deux compétitions, qui sont très importantes », a promis Jardim, qui a décidément fixé la barre très haut.