Du sommet de la colline de Fourvière, Lyon s’étire à perte de vue sous un ciel sans nuage. On entend à peine le brouhaha de la ville. Les yeux plissés par le soleil, Merhawi observe les tours du quartier de La Part-Dieu qui se dressent face à lui, puis se penche légèrement dans le vide pour contempler les quais de Saône. « Et là-bas, c’est la place Bellecour, dit le jeune homme de 29 ans. Lyon est une belle ville, ce lieu est magnifique. »

Merhawi, que Le Monde suit dans le cadre de la série « Les nouveaux arrivants », est arrivé en France le 28 janvier en provenance de Tel-Aviv, où il a vécu presque dix ans. Sans statut ni autorisation de travailler en Israël, l’Erythréen a rejoint la France où, à l’issue d’un rendez-vous fin mars à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), il a obtenu le statut de réfugié. Avec ses deux jeunes fils, il est actuellement hébergé dans le Centre de transit de Villeurbanne, où la petite famille s’entasse dans deux pièces mitoyennes de 7m² chacune qui ne communiquent pas entre elles. Un déménagement est prévu bientôt pour un logement plus spacieux en plein centre de Lyon, près de la gare de La Part-Dieu.

La longue route

C’est aujourd’hui la première fois que Merhawi gravit la colline de Fourvière. Quand il regarde en silence la ville qui s’agite à ses pieds, on ne peut s’empêcher de revoir la longue route qui l’a mené jusqu’ici.

Il avait tout juste 20 ans lorsqu’il a quitté l’Erythrée, pays de la Corne de l’Afrique dirigé par l’une des pires dictatures du continent. Il l’a fui lorsque la police est arrivée dans son école pour chercher de jeunes hommes et les conduire dans un camp militaire. La durée du service militaire est illimitée en Erythrée. Il s’est alors caché dans un jardin avant de partir à pied jusqu’à la frontière éthiopienne distante d’une dizaine de kilomètres. De là, il a rejoint le camp de réfugiés de Shimelba puis a poursuivi son exil vers le Soudan, l’Egypte, le Sinaï et enfin Israël, où il est arrivé le 7 juillet 2008. Au sud de Tel-Aviv, il s’est installé et marié avec une compatriote dont il a eu deux fils, Sem et Rafaël, âgés aujourd’hui de 4 et 5 ans. Quelque temps après la naissance de son second fils, son épouse est décédée.

Du sommet de la colline de Fourvière, Merhawi admire la vue sur la ville de Lyon, le 10 avril 2017. | Sarah Mandel pour "Le Monde"

« La basilique de Fourvière a été construite à quelle époque ? », interroge Merhawi en entrant dans le sanctuaire consacré à la Vierge Marie. D’un pas lent, le jeune homme au tempérament, contemple la nef, les vitraux, avant d’aller allumer des cierges pour ses enfants.

Comme environ la moitié des Erythréens, Merhawi est chrétien orthodoxe, l’autre moitié étant de confession musulmane. Si les chrétiens catholiques et luthériens sont aussi reconnus par le régime dictatorial d’Issaias Afeworki, ce n’est pas le cas des pentecôtistes et des évangélisques, dont 1 500 à 3 000 sont détenus dans l’enfer des camps érythréens, selon Amnesty International.

En descendant de Fourvière par le Jardin du rosaire, Merhawi déambule et prend son temps. Au pied de la colline, dans les ruelles et les traboules du vieux Lyon, il dit apprécier sa nouvelle ville et semble savourer l’instant. A la terrasse d’un bouchon lyonnais, l’Erythréen se laisse tenter par une cervelle de canut, une spécialité locale faite à base de fromage blanc, d’échalote, d’ail, de persil… Un verre de julienas accompagne le repas.

Instants de vie

Merhawi est un homme qui peut paraître réservé, prudent aussi. Il ne veut pas brûler les étapes dans la construction de sa nouvelle vie. « Ma priorité aujourd’hui est de déménager, de poser enfin mes sacs, explique-t-il. Il y a quelques travaux à faire dans mon futur appartement, mais je pense que Sem et Rafaël y seront bien. Et vous, vous avez des enfants ? » On échange nos téléphones portables pour regarder des photos, quelques instants de vie. Soudain, il s’arrête et son sourire se fige. « Ici, c’était le jour de mon mariage, raconte Merhawi. J’avais une très belle femme. »

L’après-midi touche à sa fin. Dans le métro qui va vers Villeurbanne, le jeune homme a appris à se repérer. Soucieux d’apprendre et d’être autonome, il demande régulièrement la traduction de mots ou d’expressions françaises qu’il entend autour de lui. « C’est pas évident de différencier si, aussi et ici ! », lâche-t-il avec un sourire.

Peu avant 18 heures, Merhawi sort de l’école Jules-Ferry de Villeurbanne avec Sem et Rafaël, ses deux fils aux visages poupins. Les trois communiquent en hébreu. Dans la rue qui conduit au Centre de transit, la petite famille presse le pas. Sem et Rafaël réclament leur goûter.