Maryline Baumard, chargée des questions migratoires au Monde a répondu aux questions des internautes et décrypté les propositions des candidats à l’élection présidentielle.

Jean : Compte tenu du traité de Schengen et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qu’est-ce qui est possible dans les programmes des candidats et qu’est-ce qui relève de la discussion de comptoir ?

Maryline Baumard : Votre question me semble une très bonne entrée en matière. En effet, il serait important à mes yeux que les hommes politiques se rendent compte qu’ils n’influent que très peu sur les chiffres de la migration. Qu’on soit sous la gauche de François Hollande ou qu’on se remémore la droite de Nicolas Sarkozy, les chiffres de l’immigration sont à peu près les mêmes.

Quant à l’Union européenne, elle donne le ton, aujourd’hui. Elle impose un cadre, oblige à la traduction de directives dans les droits nationaux, mais ensuite, les Etats restent maîtres du jeu.

Matthieu : Est-ce que l’Union européenne impose certaines mesures en matière d’immigration ? Si oui, lesquelles ?

L’Union européenne aimerait bien imposer des choses, effectivement. Par exemple, on peut parler des relocalisations. Pour soulager l’Italie et la Grèce, tous deux premiers pays d’entrée dans l’UE, il avait été décidé que les Vingt-huit se partageraient 160 000 migrants. En fait, on est à dix fois moins. Nombre d’Etats ont traîné des pieds, comme la Hongrie ou la Pologne pour ne citer qu’eux, et cette décision d’initiative communautaire est en train de mourir de sa belle mort.

Même si la France se vante d’avoir été un des pays les plus volontaires en la matière, nous n’avons relocalisé que 2 981 personnes sur les 33 000 qui nous étaient affectées.

Olivier : Qu’entend Benoît Hamon par « visa humanitaire » ?

Le visa humanitaire existe déjà. C’est un visa que la France donne aux réfugiés qu’elle veut faire venir. Cela leur évite de se mettre entre les mains de passeurs pour arriver en France. Deux mille sept cents Syriens en ont bénéficié en 2016 et 1 400 Irakiens.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui la délivrance est totalement discrétionnaire. Elle est faite dans les consulats de Beyrouth ou d’Amman essentiellement, mais aussi à Erbil pour les minorités religieuses (chrétiens d’Orient ou Yézidis). Benoît Hamon souhaiterait que cet octroi soit beaucoup plus généralisé.

Jean-Ed : Vous dites « François Hollande ou qu’on se remémore la droite de Nicolas Sarkozy, les chiffres de l’immigration sont à peu près les mêmes. » Sur quoi vous basez-vous pour affirmer cela ? Au contraire, les études de la démographe Michèle Tribalat montrent qu’il y a sur ce sujet une vraie différence entre le quinquennat de Sarkozy et celui de Holande. Une augmentation de près d’un tiers du nombre d’admission au séjour d’étrangers…

Je maintiens mon affirmation. Si l’on s’intéresse aux premiers titres de séjour, ils tournent toujours autour de 200 000 par an, qu’on soit sous la droite ou sous la gauche. Ce nombre est représentatif des entrées régulières dans le pays.

D’autre part, si l’on se penche, cette fois, sur le renvoi de migrants irréguliers, qu’on pourrait appeler expulsions – même si ce terme est remplacé par des mots plus politiquement corrects –, ils tournent eux aussi toujours autour de 12 000 par an, qu’on soit sous Hollande ou sous Sarkozy.

Loic : Aux Etats-Unis, Donald Trump a vu son « muslim ban » rejeté par un juge fédéral. Qu’en est-il en France sur la législation si un candidat voulait prendre une telle mesure ? Peut-on interdire purement et simplement tous les ressortissants d’un pays de venir en France ?

Votre question est d’autant plus intéressante qu’une partie des propositions de Marine Le Pen risquent de se heurter à ce « mur » du faisable. Je pense par exemple à sa volonté, clairement affirmée, de réduire l’immigration familiale. En 2016, 88 000 personnes sont entrées en France dans ce cadre. La candidate du FN voudrait couper de façon draconienne dans ces entrées. Pour cela elle propose de réduire le regroupement familial en oubliant de préciser qu’il ne concerne que 11 500 de ces 88 000 entrées. Si elle veut couper dans ce flux, elle devra interdire à des Français de se marier avec des étrangers puisque ce type d’entrée concerne près de 50 000 personnes chaque année.

Ou alors, elle devra interdire aux familles de se réunifier, ce que n’ont fait dans l’histoire que les pays du bloc de l’Est à la grande époque du communisme ou ce que font aujourd’hui les états du Golfe. Il ne faut pas oublier que la France est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention des droits de l’enfant.

Quant à interdire les ressortissants d’un pays ou les pratiquants d’une religion ciblée, vous imaginez bien que c’est juridiquement impossible…

Juju : Les contrôles aux frontières sont rétablis depuis plus d’un an. Quelles « fermetures » supplémentaires pourraient faire les candidats qui prônent un retour aux frontières fermées ?

Effectivement, depuis la COP21 et les attentats du 13 novembre 2015, les frontières de la France sont partiellement rétablies. Il existe des contrôles importants entre Vintimille en Italie et Menton, mais aussi aux frontières avec la Belgique et l’Allemagne. Marine Le Pen propose de recréer 6 000 postes de douaniers, François Fillon propose d’augmenter ces contrôles.

Effectivement, on peut toujours le faire. Mais l’histoire récente montre que quel que soit le nombre de postes de contrôle ou de rangs de barbelés, un migrant qui a parcouru des milliers de kilomètres n’abandonne pas son chemin face à la première barrière. Ce n’est pas un douanier qui va lui faire peur. On pourrait citer par exemple les centaines de tentatives de franchir la Manche de migrants campant à Calais ou les dizaines dans la neige parfois entre Vintimille et Menton.

Julien : Pourriez-vous faire un point sur tous les avantages de l’immigration ?

Sur ce sujet, les économistes sont assez d’accord pour dire que l’immigration est un investissement pour les pays d’accueil. Ainsi, un chercheur d’Oxford vient de montrer que les migrants ont contribué pour 7 000 milliards au PIB mondial, alors qu’ils n’auraient contribué que pour la moitié s’ils étaient restés chez eux. L’Allemagne a ainsi bénéficié d’un surcroît de 550 millions d’euros grâce à eux…

Plus globalement, le « migrant 2016 » ne correspond plus à l’image de l’illettré que certains véhiculent encore. Il faut savoir qu’aujourd’hui pour migrer, il faut disposer d’un capital intellectuel, social et économique. Ce qui fait que selon une étude menée par Anne Goujon pour l’Institut d’études démographique (INED), 27 % des Syriens qui sont arrivés en Autriche en 2015 étaient diplômés du supérieur quand seulement 10 % de ceux qui sont restés au pays avaient ce même niveau de qualification.

Je rajouterais volontiers qu’il y a tout le « non quantifiable » autour de la migration. Par exemple, l’aide aux migrants a tissé du lien social dans de nombreux quartiers et villages. Et puis, il y a l’ouverture culturelle pour les Français accueillant permise par ces arrivées…

Dante : Hors la question du visa humanitaire, Benoît Hamon semble très discret sur les questions d’immigration et d’asile. Quelle est véritablement sa position ? Celle d’un statut quo au regard des deux lois votées sous le mandat de François Hollande ?

Je partage votre analyse. En fait, à mes yeux, la gauche française n’aime pas ce sujet et en parle le moins possible. Plutôt que faire de la pédagogie, plutôt que démonter les arguments de Marine Le Pen, les socialistes préfèrent mettre la poussière sous le tapis et éviter au maximum de s’exprimer sur ce sujet.

D’ailleurs, si vous êtes attentif aux programmes, Benoît Hamon ne s’arrête que sur les réfugiés et évacue le sujet plus général des migrations. C’est la même attitude que celle adoptée tout au long du quinquennat Hollande où ce sujet a été gommé, comme si le simple fait de prononcer le mot migrant allait faire monter le FN de quelques points.

Peter05 : Pourquoi seule une faible proportion des déboutés du droit d’asile pour lesquels une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) a été prononcée ne sont-ils pas renvoyés à l’issue de la période subsidiaire ?

Ce chiffre a longtemps été gardé secret. Pourtant, un jour de 2015, par mégarde, le conseiller migration de Bernard Cazeneuve l’a inséré dans une réponse qu’il a faite à la Cour des comptes. Ce jour-là, il a donc écrit noir sur blanc que 4 % seulement des déboutés du droit d’asile étaient effectivement renvoyés. Ce taux, là encore, est le même que sous la droite. Ce n’est pas une preuve de laxisme particulier, mais ce qui est intéressant, c’est que cette fois, il est écrit…

Lunettes : Le programme de Marine Le Pen (engagement 26) prévoit un solde de l’immigration à 10 000. Celui-ci ci était de 33 000 en 2013 selon l’Insee. Etant donné que le flux annuel d’entrées est de 200 000 environ, la proposition de Marine Le Pen revient à faire baisser l’immigration de 10 % (-20 000), ce qui est très raisonnable. Pourquoi les médias disent-ils que Marine Le Pen veut réduire le nombre de visas à 10 000 ? N’est-ce pas là mensonger ?

En fait, le solde migratoire est plutôt de 100 000. Elle souhaite donc le diviser par dix. Si l’on regarde les grandes « masses » d’entrées, on a les 88 000 personnes arrivants par l’immigration familiale, mais on a dit précédemment qu’il était difficile de réduire vraiment ce groupe car ce sont des entrées de conjoints de Français. C’est donc de droit. Ensuite, arrive le groupe des étudiants. En 2016, 70 000 sont entrés dans l’Hexagone avec ce statut. Chercher à le réduire, c’est risquer de perdre des points dans la course mondiale aux talents…

Viennent ensuite en nombre les visas dits humanitaires qui concernent notamment les réfugiés. 32 282 personnes sont entrées sous ce statut en 2016. Et pour finir, on a une immigration de travail de 22 000 personnes. Elle correspond à des secteurs dits en tension qui ne trouvent pas la main-d’œuvre en France. Vous comprenez pourquoi il est difficile de réduire ces entrées.

Quant à introduire un moratoire, c’est possible, mais cela ne fera que retarder les entrées qui se font aujourd’hui « de droit » comme celles qui concernent les familles de Français. D’ailleurs, de façon plus générale, la France n’enregistre en termes d’entrées que 3 migrants pour 1 000 habitants, alors que la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 7.

Christophe Denis : L’immigration est au centre du débat. Pourquoi ? Cherchez-vous à faire le jeu de la droite et l’extrême droite ? La principale préoccupation des Français n’est-elle pas l’emploi ?

A mon avis, c’est justement en laissant ce sujet à l’extrême droite, avec tous les fantasmes et les approximations, que l’on fait le lit des extrémismes. Les migrations doivent être discutées, expliquées et dédramatisées.

Comme le rappelait récemment le démographe François Héran, il ne s’agit plus de savoir si l’on est pour ou contre l’immigration, mais de comprendre comment en faire une richesse pour notre pays.

Ariane : Est-ce que les candidats ont parlé de projets ou de solutions pour la situation à Calais ?

Calais… D’abord, posons un préalable. La « jungle » n’a été évacuée que parce qu’à la fin de l’été François Hollande envisageait de se représenter et voulait avoir à son actif une sorte de « Calais libéré ». Après, que vous répondre… Vous avez vu comme moi qu’aucun candidat ne s’aventure à des propositions pour le post-Calais. C’est un casse-tête auquel devra faire face le nouveau président. Des « jungles » ne manqueront pas de se reconstituer dès que la pression policière sera partiellement levée.

D’autant plus qu’à Grande-Synthe (Nord), le camp, qui accueillait plus de 1 500 migrants a flambé il y a une dizaine de jours… D’ailleurs, à Paris, en ce moment, commencent à ressurgir des campements de rue, parce que l’Etat ne vide pas assez vide le camp humanitaire. En clair, les politiques savent gérer un « stock », mais ont beaucoup plus de mal à penser une gestion de « flux » sur le long terme.

Rick60 : Vous dites que la plupart des mesures de Marine Le Pen sur l’immigration se heurtent au mur du faisable. Mais peut-on craindre que si elle est élue et dispose d’une majorité à l’Assemblée, ce « mur » ne soit abattu ?

Déjà aujourd’hui, on voit comment certains préfets font traîner le regroupement familial, de façon insidieuse, simplement en ne mettant pas assez de personnels au service des étrangers de leur préfecture. Il y a donc toujours moyen de faire traîner sans s’opposer frontalement.

Sachez par ailleurs que pour mettre en place une opposition plus frontale et massive, il faudrait renoncer à certaines conventions internationales qui impliquent le respect des droits de la famille ou de l’enfant.

Olivier : Les candidats parlent davantage de la gestion de flux migratoire que de projet pour intégrer au mieux ces populations souvent fragilisées…

Il manque effectivement un volet intégration dans nombre de programmes. Je dois rappeler au passage que ce sujet figure quand même chez Emmanuel Macron ou chez François Fillon. Tous deux rappellent l’importance de la maîtrise de la langue française au plus tôt.

Reste qu’il serait plus constructif si les candidats se focalisaient un peu moins sur une très aléatoire gestion des flux d’entrée et travaillaient un peu plus sur le moyen d’intégrer ces nouveaux arrivants.