La fresque signée JR et Ladj Ly à Montfermeil, le 19 avril 2017. | EMMANUELLE JARDONNET

La fresque, de près de 40 mètres de long et 4 mètres de haut, avait été dévoilée et exposée au Palais de Tokyo, à Paris, pendant une dizaine de jours. Mercredi 19 avril, elle a été collée de façon pérenne dans son élément : sur un mur de l’avenue Jean-Moulin, axe qui relie Clichy à Montfermeil, au cœur de la cité des Bosquets et en lisière de la forêt de Bondy en Seine-Saint-Denis.

C’est ici que l’artiste urbain JR et son complice Ladj Ly avaient monté leur première exposition clandestine d’ampleur, en 2004, en tirant les portraits des habitants de ce qui allait devenir l’épicentre des émeutes de 2005 à la suite du décès de Zyed Benna et Bouna Traoré. Ces visages d’habitants, et surtout d’adolescents, encore placardés en grand format sur les façades, avaient alors humanisé la rage destructrice d’une jeunesse en révolte. Depuis, le quartier est resté le fil rouge du travail du duo, jusqu’à la création d’un ballet au New York City Ballet en 2014 et sa version filmique, Les Bosquets, tournée sur place en 2015.

« Beau et émouvant »

En attendant François Hollande, venu inaugurer mercredi ces Chroniques de Clichy-Montfermeil, portrait collectif qui se présente comme l’épopée du quartier, une foule enthousiaste se presse le long des barrières de sécurité. Hayat, une mère de famille voilée de 41 ans dont la fille fait partie des 750 portraits de pied qui ponctuent la fresque, se réjouit : « Cette image, c’est l’union de tout le monde ici. J’en ai vu des bouts pendant le collage, mais je suis curieuse de la découvrir en entier. »

« Pendant les prises photo, qu’on a faites individuellement, sur fond vert, JR et Ladj nous ont simplement demandé d’être naturels, mais on ne savait pas qu’on allait être regroupés de cette façon », témoigne Nathalie, 47 ans. Phemina, 28 ans, n’habite plus ici, mais a également été prise en photo un jour où elle rendait visite à sa famille. Elle a déjà découvert la fresque au Palais de Tokyo : « J’ai trouvé ça beau et émouvant de reconnaître les gens, la voisine, un copain de mon petit frère… On voit que chacun a quelque chose en soi. »

« Mosaïque humaine »

La journaliste Elise Lucet est présente. « En août 2016, j’ai proposé à JR de faire un documentaire sur lui. Il ne souhaitait pas que ce soit juste sur lui, il préférait qu’il y ait une œuvre au cœur du projet. Un mois plus tard, il est revenu avec cette idée de fresque et de portrait du quartier », dit-elle, annoncant un numéro d’« Envoyé spécial » sur le sujet à la rentrée sur France 2.

L’œuvre dévoilée, la délégation officielle monte sur la scène installée devant le mur, aménagé par JR en partenariat avec les deux mairies et les Ateliers Médicis, qui préfigurent la construction d’un équipement artistique et culturel phare du Grand Paris. Xavier Lemoine, maire (Parti chrétien-démocrate) de Montfermeil depuis 2002, prend le premier la parole, sous des huées. « Cette mosaïque humaine où chacun a sa place, je lui ai donné un nom : la fresque de la réconciliation », déclare-t-il. Il se félicite que ce qui, « il y a vingt ans, n’était qu’une terre de relégation », laissée « fracassée » par les émeutes, ait retrouvé « dignité et fierté ». « JR est entré par effraction dans le paysage montfermeillois », rappelle l’élu, qui avait poursuivi JR dès les premiers portraits placardés avant les émeutes. Et remercie François Hollande d’avoir été un « artisan de la paix » en le conviant à l’Elysée pour une projection du film Les Bosquets en présence des artistes.

Fermeture de la mosquée

Olivier Klein, le maire (PS) de Clichy, prend à son tour la parole, cette fois sous les ovations du public. Lui aussi remercie le président dont l’action pour ce territoire a été, dit-il, « déterminante », avec l’implantation en cours du tramway pour le désenclaver, et de la future tour Médicis (ex-tour Utrillo), équipement culturel du Grand Paris inspiré de la Villa Médicis, qui va émerger à quelques centaines de mètres de là. Et rend hommage aux deux artistes pour leur fidélité aux lieux et à ses habitants, saluant leur travail sur la « vie du quartier : ses drames, ses plaisirs, ses rencontres ».

Dans son discours, Ladj Ly rappelle les dix années de conflit avec le maire de Montfermeil et les excuses présentées par celui-ci lors de la projection du film, qui avaient montré que le moment était venu « de faire la paix pour avancer dans le bon sens ». L’enfant des Bosquets profite de l’occasion pour évoquer le sujet de tension du moment : la fermeture, quelques jours plus tôt, de la mosquée de Montfermeil à la demande de la municipalité pour des raisons de normes de sécurité – dernier épisode d’un feuilleton judiciaire au long cours. « Nous pouvons trouver des solutions tous ensemble plutôt que d’aller en justice », affirme, sous les applaudissements, le réalisateur, qui souhaite monter une école de cinéma à Clichy-Montfermeil.

François Hollande lors de l’inauguration officielle de la fresque signée JR et Ladj Ly à Montfermeil, le 19 avril 2017. | EMMANUELLE JARDONNET

« La fierté de toute une ville »

« Emu » par cette inauguration officielle dans ce lieu qui a façonné sa manière de croiser et confronter les regards, JR précise que la fresque n’est pas « une photo de groupe, mais un groupe de photos où chacun est dans la même lumière ; le point est fait sur chacun ». Il explique avoir eu l’idée de la composer en voyant une œuvre murale de chroniques de la vie du Mexique du peintre Diego Rivera, où se mêlent familles, officiels, « guerriers, prêtres et voleurs ». Sur la fresque photographique, aux lignes de convergence multiples, des dynamiques de groupe rassemblent les individualités autour d’intérêts ou préoccupations multiples : foot, marché, religion, téléphones portables ou personnalités charismatiques, sur fond de mutation architecturale du quartier.

François Hollande, largement applaudi, rappelle « la rage et la colère » exprimées lors des émeutes. Lui qui était venu à Clichy en 2005 dit revenir « comme président dans une cité changée, transformée, fière ». « Cette fresque, magnifique, va être considérée comme un élément de notre patrimoine, de ce que nous arrivons à faire ensemble, ce que vous avez réussi. Je me demande si je ne vais d’ailleurs pas la classer », lance-t-il avant d’aller brièvement à la rencontre des habitants dans ce qui sera l’un de ses derniers bains de foule de président.

L’œuvre de papier, recouverte d’un vernis protecteur, brille sous le soleil. Selon Malamine, 33 ans, elle ne sera pas dégradée. « Tout le monde est d’accord ici pour dire que c’est la fierté de toute une ville », résume cet ami d’enfance de Ladj Ly tout en se cherchant sur le monumental montage photo.