Ici, le QG de Benoît Hamon, rue du Château d’eau, dans le 10e arrondissement de Paris. | Denis Allard/REA

Trouver ses clés. Habiller son fils. Enfiler son manteau. Déplier la poussette. Et depuis deux mois, avant chaque sortie, se brancher sur BFMTV pour mesurer la foule qu’il va devoir affronter en bas de chez lui. Eric, la trentaine, est las. Il habite à cinquante mètres du siège de campagne de François Fillon. En temps normal, on peine déjà à se croiser sur l’unique trottoir de la rue Firmin-Gillot, tranquille voie à deux pas de la porte de Versailles (15e arrondissement).

Alors imaginez un jour de sortie du Canard enchaîné… Sans même parler des menaces d’attentat qui ont entraîné un renforcement des mesures de sécurité. « Quand il y a trop de monde, je remonte la rue en sens inverse, souffle Eric. Sinon, avec la poussette, je serais obligé de descendre sur la route au milieu de la circulation. Et puis, je n’ai pas envie de passer à la télé matin, midi et soir. » Autant dire que dimanche 23 avril, jour du premier tour de l’élection présidentielle, Eric ne va pas s’aventurer dans « sa » rue.

Jean-Luc Mélenchon, en adéquation avec le quartier

Le temps de la campagne, les façades d’immeubles anonymes sont devenues l’arrière-plan d’un petit théâtre commenté par des journalistes en duplex. Une intrusion dans leur intimité diversement vécue par les riverains. La cohabitation se déroule mieux quand le candidat est en adéquation avec la sociologie du quartier. La tonitruante rue de Dunkerque (10arrondissement), près de la gare du Nord, ne pouvait que s’entendre avec le bateleur Jean-Luc Mélenchon. Au numéro 36, l’atelier de reprographie se réjouit des quelques travaux commandés dans l’urgence par l’équipe du candidat.

Au 36 bis, la vendeuse de la boutique Nicolas espère bien vendre quelques bouteilles de vin pour une soirée festive. Au rythme où va la progression du candidat dans les sondages, qui sait, ce sera peut-être le 23 avril. Le bar, au 47, accueille les militants pour les soirées de débats télé. « Ce sont des jeunes super sympas. Ils restent très concentrés. Ils ne sont pas là pour se bourrer la gueule », raconte le patron du Paris Juste. La seule nuisance se résume à une banale guerre d’autocollants entre l’écurie Mélenchon et le maraîcher du 43. Ce dernier a beau arracher le sticker symbole de la France insoumise de la façade de son commerce, un autre viendra le remplacer le lendemain.

Dans l’étroite rue Firmin-Gillot (15e), qui accueille le QG de François Fillon, les habitants ont du mal à se déplacer. | Albert Facecelly/french-politics.com

Rue du Château-d’eau, également dans le 10e, Benoît Hamon a déballé ses cartons dans l’indifférence. « Ici on vit tous les jours dans le bruit. C’est un quartier vivant. La seule différence, c’est que les camions de livraison ne sont plus les seuls à se garer en double file. Il y a maintenant de grosses berlines », confie Olivier, installé au comptoir du Réveil du 10e. Entre deux commandes, l’un des serveurs du bar lâche : « Il paraît qu’il y a maintenant des députés qui viennent chez nous mais, franchement, je ne sais pas qui ils sont. » À côté, à La Pendule occitane, l’indifférence a laissé place à l’agacement. Le 18 mars, l’équipe du candidat socialiste réserve les lieux pour une soirée festive. Une trentaine de personnes mangent (un peu) et boivent (beaucoup), selon le patron. Montant de l’addition : 1 000 euros. Benoît Hamon mettra dix jours à régler l’ardoise.

« Je les ai tous vus, sauf Emmanuel Macron. Je le regrette. Je vais le dire à son équipe. Boire un coup dans un bar-tabac, ça fait partie de la culture française. » Le patron du bar Le Brazza

L’arrivée d’une équipe politique fait gonfler la liste des récriminations des particuliers mais aussi… le porte-monnaie des commerçants. Près du QG d’Emmanuel Macron, rue de l’Abbé-Groult, dans le 15e arrondissement, le patron du bar Le Brazza se frotte les mains. Tout sourire, maillot du PSG sur le dos, il ouvre son portefeuille. Il y a rangé sa carte d’adhérent d’En marche !. Depuis novembre, les stars du mouvement politique viennent s’accouder au zinc. « Vous venez juste de manquer Laurence Haïm, sourit-il. Je les ai tous vus, sauf Emmanuel Macron. Je le regrette. Je vais le dire à son équipe. Boire un coup dans un bar-tabac, ça fait partie de la culture française. »

Un bar devenu un lieu éminemment politique : Le Parisien a croisé dans l’arrière-salle Christian Estrosi. Et M, le député LR Hervé Gaymard, fidèle soutien d’Alain Juppé. Ou plutôt son parfait sosie, nous jure l’intéressé, qui ne « sait même pas où se trouve ce QG ». C’est au numéro 99, où un écriteau indique seulement : « Vigipirate. » Bien avant l’arrestation de deux terroristes présumés qui auraient eu pour objectif de viser un candidat, la Préfecture avait imposé des mesures de sécurité, confie Sibeth NDiaye, chargée des relations avec la presse pour En marche !. « Depuis le début de la campagne, nous avons été visés par des alertes à la bombe et par un courrier faussement piégé. Le mois dernier, la police a dû intervenir pour un véhicule abandonné. » Depuis, les visiteurs se font déposer au milieu de la chaussée.
Et les automobilistes parisiens passent leurs nerfs sur leur klaxon. « C’est de plus en plus bruyant. Le 23 avril, notre rue tranquille, ce sera quoi ? Le périph’aux heures de pointe ? », râle Danielle.

Accueillir sur ses terres un prétendant à l’Élysée ne trouble pas seulement la tranquillité d’un quartier. Il peut aussi mettre en péril sa sécurité. Dans la nuit du 12 au 13 avril, au 262 de la rue du Faubourg- Saint-Honoré, une agence de l’assureur MAIF a été visée par un incendie d’origine criminelle. Ses vitres brisées, sa façade taguée d’un slogan anti-FN. Son seul tort est d’occuper le rez-de-chaussée de l’immeuble choisi par Marine Le Pen pour abriter son siège de campagne. Un peu plus à l’ouest dans Paris, au 27 rue des Vignes, il n’a pas fallu de fait divers pour faire monter la température dans ce banal immeuble résidentiel du 16e arrondissement. Là, au rez-de-chaussée, s’est installée une galaxie d’entreprises sous-traitantes du Front national.

Le « QG secret » de Marine Le Pen

Des proches de Frédéric Chatillon et Axel Loustau, deux personnalités au cœur des enquêtes judiciaires visant le FN, passent leur journée le regard vissé à des Mac dernier cri. La tête de pont des sociétés domiciliées rue des Vignes s’appelle e-politic. Elle est à l’origine du site Marine2017.fr ou de la campagne de dénigrement en ligne levraimacron.net. Bien que discrète sur la composition de son équipe, l’entreprise emploie les nouveaux visages du FN. Belles gueules et looks soignés, ils ne s’attardent sur le trottoir que pour fumer leurs clopes, gardant un œil sur les visiteurs qui traîneraient un peu trop dans le hall. Depuis 2014, la résidence est plongée dans une ambiance de polar. Pour convaincre les habitants de parler, il faut leur garantir l’anonymat. Une habitante, la trentaine, chuchote, loin de l’entrée : « Ce sont de jeunes gens très discrets. Ils disent rarement bonjour. On a découvert la nature de leurs activités dans Marianne. »

L’article, publié en 2014, décrivait les furtives visites de Marine Le Pen, Florian Philippot ou Nicolas Bay dans ce « QG secret ». La présidente du FN connaît encore le chemin. Cet hiver, une locataire a découvert dans la nuit qu’elle tenait la porte à la candidate frontiste et à son garde du corps. « Si j’avais vu que c’était elle, je ne l’aurais pas fait », grimace-t-elle.

Pour cette groom malgré elle du Front national, la fin de la campagne n’arrangera rien. La succursale du 16e arrondissement ne fermera pas ses portes en mai. Les voisins des autres QG attendent, eux, avec impatience le 23 avril, à 20 heures. À cette heure-là, les battus du premier tour feront sans nul doute des heureux : leurs voisins.

Par Matthieu Deprieck