Eléa Pommiers, journaliste des Décodeurs au Monde a répondu aux questions des internautes sur les propositions des candidats à l’élection présidentielle pour tenter de sortir de la « crise démocratique ».

Nicolas : Plusieurs candidats appellent à une VIe République. Serait-elle, pour ces mêmes candidats, synonyme de régime parlementaire ?

Eléa Pommiers : En effet, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon souhaitent une VIe République qui instaurerait un « régime parlementaire stable ». En réalité, la Ve République est déjà un régime parlementaire : le gouvernement est bien responsable devant le Parlement.

Mais plusieurs dispositions permettent au gouvernement de contourner le pouvoir législatif, ce qui conduit souvent à désigner la Ve République comme un régime « semi-présidentiel ». Les partisans d’une VIe République veulent supprimer ces dérogations et renforcer le pouvoir du Parlement.

Dine : Quel mode de gouvernance et quel rôle du président proposent chaque candidat, notamment dans les relations avec le Parlement.

Seuls trois candidats veulent changer de Constitution et en réécrire une où le président aurait beaucoup moins de pouvoir, et où le Parlement serait renforcé. Il s’agit des candidats de gauche Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Dans leur VIe République, le gouvernement ne pourrait plus passer outre la volonté du Parlement comme c’est actuellement le cas avec des dispositions comme l’article 49, alinéa 3 (49-3) de la Constitution.

Pour tous les autres, le rôle du président ne doit pas changer. Certains (Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Cheminade ou Marine Le Pen) proposent de revenir au septennat, voire au septennat non renouvelable. La proposition qui changerait le plus la manière de gouverner serait sans doute l’élection proportionnelle à l’Assemblée nationale, proposée notamment par Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

El Greg : Quelles sont les propositions des candidats concernant le Sénat ?

Peu de candidats émettent des propositions sur le Sénat. Philippe Poutou et Jean-Luc Mélenchon proposent de le supprimer. Benoît Hamon ne va pas jusque-là mais souhaite en réformer la composition (comme Jacques Cheminade). Il propose notamment d’introduire un « collège citoyen » et un « collège de forces vives » dans lequel on retrouverait des représentants de la société civile.

Jorn : Quelles propositions existent pour renforcer la participation citoyenne ?

Plusieurs candidats ont formulé des propositions pour développer la démocratie directe. Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon, François Asselineau et Marine Le Pen veulent ainsi créer un référendum d’initiative citoyenne. En 2008, la réforme constitutionnelle avait créé un « référendum d’initiative partagée » qui ne pouvait être proposé que par des parlementaires. Ces candidats proposent que les citoyens puissent eux-mêmes soumettre des questions à référendum.

Benoît Hamon formule également des propositions qui vont dans le sens d’une plus grande participation citoyenne, notamment avec son « 49-3 citoyen » qui permettrait à 1 % du corps électoral d’imposer qu’une proposition de loi soit examinée par le Parlement ou d’en soumettre une à référendum.

Loic : On entend souvent qu’il y a trop de députés. Quels candidats ont prévu une diminution du nombre de parlementaires et comment redessiner les circonscriptions ?

La question du nombre de parlementaires fait quasiment l’unanimité chez les candidats. Ils ne sont que trois (Jean Lassalle, Nathalie Arthaud et Benoît Hamon) à ne pas se prononcer dans le sens d’une diminution de leur nombre. Si certains ont précisé dans quelle proportion ils souhaitaient réduire le nombre d’élus (un tiers pour Emmanuel Macron, 300 députés et 200 sénateurs pour Marine Le Pen), aucun n’a cependant détaillé de quelle manière il redessinerait les circonscriptions.

Maxime : Quels problèmes pourraient causer la reconnaissance du vote blanc ?

Six candidats sont favorables à la reconnaissance du vote blanc dont Jean-Luc Mélenchon, François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Cheminade et Benoît Hamon (qui veut soumettre la question au référendum). Leur idée est de faire baisser l’abstention en reconnaissant le choix des électeurs qui ne se sont prononcés pour aucun candidat.

Tout dépend ensuite de ce qu’ils entendent par reconnaissance. S’il s’agit simplement de les dénombrer sans les compter parmi les suffrages exprimés, cela ne change rien. Sinon, la reconnaissance des votes blancs pourrait conduire à :

- Empêcher qu’un candidat obtienne une majorité absolue ;

- Invalider une élection si la somme des votes blancs et de l’abstention était supérieure à 50 %.

Cela amènerait à redéfinir les règles des élections telles que nous les connaissons aujourd’hui.

Jooooo : Jean-Luc Mélenchon a-t-il précisé comment allait fonctionner son Assemblée constituante s’il est élu ? Qui composera cette Assemblée ? Quelles décisions seront prises ?

Jean-Luc Mélenchon n’a pas donné beaucoup d’informations précises quant au fonctionnement de son Assemblée constituante. Il a spécifié qu’elle serait convoquée dès son arrivée au pouvoir, mais qu’elle disposerait ensuite du temps qui lui serait nécessaire pour élaborer la nouvelle Constitution.

Dans son programme, il indique d’une partie de ses membres serait tirée au sort (mais ne précise pas combien), et qu’aucun parlementaire de la Ve République ne pourrait y siéger. Une fois la nouvelle Constitution élaborée, elle serait soumise à référendum pour être approuvée. Il a souligné jeudi 20 avril sur France 2 que son gouvernement soumettrait une feuille de route sur laquelle la Constituante pourrait s’appuyer (dans laquelle il proposerait certainement les mesures détaillées dans son programme comme la suppression du Sénat, l’inscription d’une « règle verte » dans la Constitution, etc.).

Pendant ce temps, M. Mélenchon gouvernerait dans les institutions de la Ve République.

Volte : Des candidats proposent-ils de rétablir l’élection indirecte du président ? Cela ne permettrait-il pas de revenir à un vote qui serait davantage axé sur les idées que sur le charisme d’une personne ?

Il s’agit en effet de l’une des principales critiques adressée à la Ve République. Mais aucun candidat n’a proposé de revenir sur le mode de scrutin à l’élection présidentielle. Même Jean-Luc Mélenchon ne le promet pas mais avance toutefois que l’Assemblée constituante qu’il convoquerait pourrait se prononcer dans ce sens.

Gregory : Comment les candidats intègrent-ils Internet dans leur système démocratique ?

Certains candidats considèrent qu’Internet et, plus largement, les outils numériques, sont un moyen d’améliorer la participation des citoyens à la vie politique. C’est particulièrement le cas de Benoît Hamon. Il propose de favoriser la participation citoyenne (élaboration de loi par exemple) grâce aux outils numériques considérant qu’ils sont un vecteur de transparence.

Emmanuel Macron et François Fillon entendent, eux, utiliser les nouvelles technologies pour encourager la participation aux élections. Tous deux sont favorables à une généralisation du vote électronique. Jusqu’à maintenant, le vote électronique n’a été mis en place que pour les élections législatives de 2012, et seulement pour les Français de l’étranger.

Marie : La pratique du gouvernement par ordonnances est-elle remise en cause ou y a-t-il une volonté de l’accroître chez certains candidats ?

Cela dépend des candidats ! A gauche, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon y sont plutôt opposés car la pratique est une manière de contourner le processus parlementaire. Emmanuel Macron et François Fillon, au contraire, assurent qu’ils auront recours à cette pratique qui permet, selon eux, de gouverner avec plus « d’efficacité ». En effet, une ordonnance permet au gouvernement de légiférer plus rapidement. Mais pour pouvoir prendre une ordonnance, le gouvernement doit de toute façon obtenir l’autorisation du Parlement.

Pierre : Le système d’élection par le vote à deux tours ne permet pas de donner une image cohérente de la diversité des opinions en France. Ne serait-il pas judicieux qu’une dose de proportionnelle soit introduite dans l’élection à la députation ?

C’est le constat que font six candidats dont notamment Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Benoît Hamon et Emmanuel Macron. Ils estiment que le scrutin majoritaire ne permet pas une juste représentativité à l’Assemblée nationale et qu’un scrutin proportionnel doit être introduit (intégral pour les deux premiers, partiel pour les deux derniers). Mais aucun ne dit quand cette élection à la proportionnelle aurait lieu.

Isabel : Que proposent les candidats sur la régionalisation et la décentralisation ?

Pour beaucoup de candidats, il s’agit avant tout de supprimer des échelons administratifs pour alléger une décentralisation devenue à leurs yeux trop complexe pour les citoyens. Il existe aujourd’hui six échelons administratifs en France.

Six candidats (dont Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon, François Asselineau, Jacques Cheminade et Jean Lassalle) veulent abroger la loi NOTRe qui a redessiné la carte des régions et redéfini les pouvoirs des différents échelons administratifs en 2015. Elle avait surtout donné plus de poids aux régions, quand ces candidats sont plutôt favorables au pouvoir des communes et des départements. Marine Le Pen va encore plus loin puisqu’elle compte supprimer tous les niveaux d’administration en dehors de la commune, du département et de l’Etat.

François Fillon et Emmanuel Macron souhaitent aussi réduire le « millefeuille territorial », notamment en fusionnant des échelons. Le candidat d’En marche ! veut par exemple supprimer un quart des départements en les rapprochant avec les grandes métropoles.

Maxime : Mettre en place une VIe République parlementaire ne serait-ce pas retourner à la IVe République connue pour son instabilité gouvernementale ?

C’est effectivement une critique adressée à Jean-Luc Mélenchon. Il faut toutefois spécifier que l’instabilité gouvernementale de la IVe République a été exacerbée par le contexte de décolonisation de l’époque, et donc que la VIe République ne serait pas assurée de subir le même sort. Mais il est vrai que même si Jean-Luc Mélenchon garantit que le régime parlementaire qu’il veut mettre en place serait « stable », il ne précise pas de quelle manière et avec quels garde-fous.

Citoyen-nono : Un(e) candidat(e) envisage t-il (elle) de rendre le vote obligatoire ? Le cas échéant, quelles mesures accompagneraient une telle obligation ?

Le vote obligatoire dès 16 ans fait partie du programme de Jean-Luc Mélenchon, qui accompagne effectivement cette mesure d’une reconnaissance du vote blanc.

Axl : Est-ce que certains candidats proposent de renforcer la déontologie au sein des instances gouvernementales et parlementaires, comme c’est le cas de la loi du 20 avril 2016 ?

Les propositions des candidats pour « moraliser » la vie publique sont nombreuses. Benoît Hamon est le plus prolixe sur la question. Il veut obliger tous les élus à rendre publique leur déclaration de patrimoine (comme Jean Lassalle et Jean-Luc Mélenchon), obliger les candidats à la présidentielle à dévoiler leurs liens avec des intérêts privés, interdire les activités de conseil pour les parlementaires (comme Emmanuel Macron), ou encore les embauches de collaborateurs familiaux (là encore, comme Emmanuel Macron).

Antisondage : J’ai le sentiment que les sondages, que l’on y croit ou non, sont devenus une véritable plaie. Est-ce que des candidats proposent d’aller plus loin que l’interdiction durant le week-end du vote ?

Certains candidats sont très critiques sur l’influence qu’auraient les sondages sur la campagne, particulièrement les « petits » candidats. Benoît Hamon a également fustigé les sondages qui incitent au « vote utile » à de nombreuses reprises durant cette campagne.

Mais ils ne sont que deux à formuler des propositions. Jacques Cheminade se prononce en faveur de « plus de contrôle », et Jean-Luc Mélenchon compte les « interdire les jours précédant l’élection », sans préciser combien de temps avant. Il souhaite également appliquer une proposition de loi votée au Sénat en 2011 qui renforçait les contrôles sur les sondages et les instituts, mais qui n’est pas entrée en vigueur.