Film sur Canal+Cinéma à 22 h 10

EPERDUMENT - Bande Annonce Officielle - Guillaume Gallienne / Adèle Exarchopoulos (2016)
Durée : 01:55

Avec Juliette, Pierre ­Godeau proposait, en 2012, un portrait de jeune fille un peu emprunté. Si Eperdument, son deu­xième film, se construit au­tour d’un double portrait, c’est presque tout ce qu’ils ont en commun. De l’un à l’autre, l’approche a changé : de timide, le personnage est devenu franc et vif. Le mérite en revient en partie au jeu de l’incandescente Adèle Exarchopoulos. Mais s’il reste à ce film un peu de cette surcomposition qui pesait sur Juliette, elle est ici défendable et appréciable.

C’est une adaptation de Défense d’aimer (Presses de la Cité, 2012), de Florent Gonçalves, dans lequel cet ancien directeur de prison racontait ses amours avec une détenue, qui avait été utilisée comme « appât » dans l’affaire du « gang des barbares ». Il eût été facile d’en faire un brûlot érotique en terrain contraint. Le réalisateur fait le choix difficile d’assumer la fièvre autant que la glace, travaille la ­première à l’épreuve de la seconde plutôt que dans la friction.

Son film est l’histoire d’un couple qui s’aime – ou dont l’un des deux au moins aime, ce qui fait tout le sel du drame – dans l’interdit, presque aux yeux de tous. La salle informatique leur offre un asile physique, mais « Radio Coursive », qui a des yeux partout, a débusqué d’autres couples avant eux. La vérité de leur amour se situe dans la transparence d’un bureau vitré où le directeur convoque les détenues, où le couple naît et vit prisonnier du regard de tous les autres.

Racine à la rescousse

Dans la transparence qui interdit l’exubérance des corps, on n’a plus que les mots. Au-delà d’une mise en scène assez forte, Eperdument est un film bavard, donc déconcertant si l’on s’attendait à un brasier des sens. La folie des mots et celle du sexe n’y sont pourtant qu’une même démence ancienne. Racine y puisait les vers puissants de Phèdre. Ils reviennent brûler les lèvres d’Anna, qui se frotte au texte et à l’amour – ou à la ten­tation de feindre un amour qui la sauve – lors d’un cours de ­français en prison.

Quoi de plus simple en apparence que de mettre dans la bouche et dans la tête de ses protagonistes des vers que les siècles ont rendus familiers sans rien leur ôter de leur force ? De s’éviter l’épreuve de leur écrire un texte trop courant pour rendre justice à leur passion, ou trop pompeux pour la garder crédible, quand on peut faire parler Racine à sa place ? Entre deux conversations de couloir, cela aurait pu n’avoir guère plus de sens que des citations hors sujet.

Adèle Exarchopoulos et Guillaume Gallienne dans « Eperdument », de Pierre Godeau. | LGM CINEMA/THIERRY VALLETOUX

Dans la première scène, Anna ­arrive en prison murée dans son silence. Autour d’elle, des rangées de cellules d’où sortent des sons plus proches de l’aboiement que du langage des hommes. Elle se déshabille mécaniquement et sans nécessité, ce qui fait rire les gardiennes. C’est pourtant la tristesse de son geste qui saute aux yeux : un renoncement à communiquer autrement qu’en s’offrant comme une bête à l’abattoir.

Il faut Racine pour ranimer Anna. Les vers lus devant la classe font renaître en elle l’envie de vivre – pour aimer Jean ou s’en faire aimer. Guillaume Gallienne a fait de son personnage un fantoche aux velléités artistiques de petite envergure, que l’acteur joue faux exprès, parce que Jean lui-même est mauvais acteur de sa vie.

Eperdument, de Pierre Godeau, avec Adèle Exarchopoulos, Guillaume Gallienne, Stéphanie Cléau (Fr., 2016, 110 min).