Cinq semaines après le début du mouvement, et à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, « l’accord de Guyane » a été signé vendredi 21 avril dans l’après-midi par le collectif, les quatre parlementaires guyanais, les présidents de la collectivité territoriale de Guyane et de l’association des maires et par le préfet au nom du gouvernement. Dans cet accord, sont actées « des mesures qui serviront d’amorçage pour le développement du territoire sur des bases nouvelles (…) et qui repositionneront la Guyane sur une trajectoire d’égalité réelle avec le reste du territoire national (…). Les réponses apportées par l’Etat [n’ayant] jamais été à la hauteur des difficultés singulières et réelles que la Guyane connaît ». « L’exceptionnelle croissance démographique, l’immensité de son territoire et les ressources naturelles dont elle dispose commandent de penser son développement en des termes différents, innovants », précise le document.

L’accord confirme « le plan d’urgence » acté en conseil des ministres le 5 avril à hauteur de 1,86 milliard d’euros. Dont 250 millions d’euros pour construire cinq lycées et dix collèges en cinq ans, 300 millions pour une quatre-voies et le doublement d’un pont, 212 millions en faveur de la Collectivité territoriale de Guyane, la construction d’une cité judiciaire à Cayenne et d’une prison à Saint-Laurent-du-Maroni, des renforts de policiers et gendarmes.

Point délicat de la négociation, les 2,1 milliards d’euros de mesures supplémentaires revendiqués par la Guyane : à ce sujet, l’Etat « s’engage à ce que ces mesures fassent sans délai l’objet d’un examen prioritaire (…) pour programmer un plan additionnel d’investissement et de fonctionnement ». A ces propositions centrales s’ajoutent des accords sectoriels, telle la « zone franche sociale et fiscale » négociée par les représentants patronaux sur dix ans pour les entreprises jusqu’à 50 salariés, qui devra faire l’objet d’une loi… sous la prochaine mandature. A la mi-journée, vendredi, la plupart des barrages routiers étaient levés – sauf à Kourou –, après plus d’un mois de blocage relatif.

Des avancées modestes

Toujours selon l’accord, « les élus, le collectif et l’Etat conviennent de l’élaboration, à venir, du projet Guyane issus des travaux des états généraux qui portera des ambitions à plus long terme pour la Guyane ». Si l’accord confirme la cession de 250 000 hectares de foncier de l’Etat à la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et aux communes, la revendication de la rétrocession totale du foncier de l’Etat à la CTG est renvoyée aux futurs états généraux. La réouverture du débat sur l’évolution statutaire – un changement de statut pour aller vers plus d’autonomie – est également actée dans l’accord, un congrès des élus devant être réuni sur la question.

« La priorité absolue, ce n’est pas ce débat, mais l’élaboration du projet guyanais sur plusieurs thématiques (fiscalité, santé, énergie, éducation…) », indique Davy Rimane, le porte-parole du collectif Pou Lagwiyann Dékolé (« pour que la Guyane décolle »). « Une fois ce projet validé, se posera la question du cadre statutaire pour savoir si nous serons en mesure avec ce cadre de porter correctement le projet », précise-t-il.

Les avancées semblent modestes par rapport aux propositions faites en Guyane le 2 avril par les ministres des outre-mer et de l’intérieur, qui avaient annoncé le plan d’urgence et des mesures à moyen ou long terme à étudier dans le cadre du plan de convergence défini par la loi sur l’égalité réelle outre-mer.

Pour la plupart des élus, l’engagement des 2,1 milliards supplémentaires dépendra du maintien d’une autre forme de mobilisation, à l’orée de l’élection présidentielle et d’un changement de gouvernement. « La détermination affichée pendant ces cinq semaines doit perdurer pour que les besoins légitimes de la Guyane soient entendus », explique la députée guyanaise Chantal Berthelot (apparentée PS).

« Chair de poule »

Ecartés au début du mouvement par des collectifs constitués par secteurs d’activité et par zones géographiques sur un territoire grand comme le Portugal, les élus ont été partie prenante du processus en fin de négociation. « Cet accord, je l’accueille avec beaucoup d’humilité et de reconnaissance pour le peuple de Guyane puisque, sans lui, on n’aurait pas été capables de voter un budget en équilibre », admet Rodolphe Alexandre, le président de la CTG, une collectivité créée le 1er janvier 2016, fusion de la région et du département, en difficulté financière en raison d’une démographie très dynamique et d’un taux de pauvreté hors normes (44 %). « Grâce aux marches du 28 mars – 10 000 à 15 000 personnes à Cayenne, près de 5 000 à Saint-Laurent –, nous pourrons générer 240 millions d’euros de commande publique », se réjouit M. Alexandre.

« Cette marche, j’en ai encore la chair de poule », témoigne Dominique, un Créole quadragénaire de Cayenne qui a passé la nuit de jeudi à vendredi devant la préfecture. « Voir tous ces gens marcher ensemble pour la première fois : Créoles, Blancs, Hmongs, Haïtiens, Brésiliens, Amérindiens… j’en avais les larmes aux yeux », explique-t-il. « Je suis fier du peuple guyanais, fier que des personnes de la société civile aient pu relever toute la classe politique et, par leur engagement et leur volonté, aient démontré qu’on peut aller plus haut que ce que l’Etat nous propose », affirmait un quinquagénaire dans la foule, quelques heures avant la signature.

« En masse, directement par le moyen de fichiers de doléances, des collectifs de citoyens se sont constitués dans tout l’espace géographique guyanais pour dire aux pouvoirs publics leur manière de penser la société guyanaise, au travers de revendications qui proclament en premier lieu leur sentiment d’appartenance au pays Guyane », analyse l’historien Serge Mam Lam Fouck, professeur à l’université de Guyane.

Le conflit durant, ce sentiment d’unité a été mis à rude épreuve, y compris parmi le collectif des 500 Frères contre la délinquance, cagoulés et vêtus de noirs, figures emblématiques du mouvement. « Le travail ne fait que commencer », convient Davy Rimane.