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Your Honor s’ouvre sur l’accident de voiture que cause le jeune fils d’un juge, suivi d’un délit de fuite. Comment ce juge, brillant, intègre, qui brigue un poste à la Cour constitutionnelle, va-t-il se comporter ? Une série haletante, qui amène chacun à se poser la question des limites qu’il mettrait à défendre son enfant coupable et que le festival Séries Mania a a choisi de récompenser de son Grand Prix, samedi 22 avril.

Nous avions rencontré ses auteurs, Shlomo Mashiach, créateur et scénariste, et Ron Ninio, créateur et réalisateur, après la projection des deux premiers épisodes de leur série, dans le cadre du festival.

Le titre, « Votre Honneur », est-ce la manière dont on s’adresse à un juge en Israël ?

Ron Ninio : On utilise ce terme, oui, mais on dit plus généralement « Monsieur ». Cela dit, si le personnage principal est effectivement un juge, on comprend, au fil de la série, que ce titre est ironique. En Israël, le système judiciaire est un héritage : d’une part du système turc, puisque jusqu’au début du XXe siècle, avant les Britanniques, la Turquie dominait les trois quarts du monde méditerranéen, d’autre part du système britannique dans lequel on s’adresse au juge en lui disant Your Honor.

Votre série a-t-elle déjà été diffusée en Israël, et, si oui, sur une chaîne publique ou privée ?

Shlomo Mashiach : En Israël, s’agissant du hertzien, il existe une chaîne publique et une télévision commerciale qui comporte deux canaux. S’ajoutent à cela le câble et le satellite. J’ai travaillé pour toutes les sociétés de télévision d’Israël. C’est donc en connaissance de cause que je peux dire que la société qui émet par satellite, Yes, a l’immense avantage de placer les auteurs de fiction comme de documentaire au premier plan, sans restreindre leur liberté au nom de l’audience. Ce qui fait aussi qu’elle n’atteint pas l’audience des chaînes commerciales.

Je crois que vous, en Israël, travaillez avec des moyens financiers ridicules par rapport à ceux que l’on connaît en Europe ?

S.M. : Oui, l’industrie de la télévision dispose de très peu d’argent pour la création dramatique. Nous imaginons donc des séries qui coûtent bien moins cher qu’en Europe ou aux Etats-Unis, avec à l’esprit, toujours, que cela ne doit pas se voir. Le coût total de notre série, c’est ce que HBO ou Showtime auraient mis pour un seul de leurs épisodes.

Mais auriez-vous disposé de la même liberté de création ?

R.N. : Je pense que oui, puisque ce sont ces chaînes qui sont à l’origine de la plus grande révolution que la télévision ait connue au cours des quinze dernières années. Elles ont créé le cinéma de longue durée : on fait maintenant des films de huit, dix, douze heures. Or pour réaliser des séries exceptionnelles comme Les Soprano ou Breaking Bad, ces chaînes ont dû laisser toute liberté de création à leurs auteurs.

Dans quelle situation êtes-vous, pour votre part : recherchez-vous systématiquement la liberté, ou tout simplement le média qui acceptera un de vos projets ?

R.N. : C’est très simple et plutôt cynique : on frappe à toutes les portes, et nous allons vers le premier qui est prêt à nous engager. Nous n’avons pas le luxe de rechercher qui nous préférons.

S.M. : L’idéal, pour créer des séries comme Your Honor, ce serait notre chaîne publique. Malheureusement, au cours des vingt dernières années, cette chaîne n’a pas rempli sa fonction qui veut qu’en tant que BBC israélienne, elle ne se préoccupe pas des audiences et propose des créations du meilleur niveau possible au public. Paradoxalement, les sociétés privées, y compris les sociétés commerciales, contraintes par la loi de produire des créations originales, en ont fait beaucoup plus que la chaîne publique, pourtant financièrement soutenue par l’Etat.

R.N. : Le gouvernement vient même de tenter de fermer la chaîne publique et d’ouvrir un autre établissement audiovisuel public de télévision et de radio. Cela a créé un tel bazar en Israël, dernièrement, que le gouvernement a failli tomber : on a été sur le point d’organiser des élections anticipées en raison de l’immense polémique que cela a engendré.

Que se passe-t-il, précisément ?

R.N. : C’est Israël ! Entre 1968 et 1992, il n’y avait qu’une seule chaîne, celle du service public. La corruption s’y est installée, principalement en raison des dirigeants. La conclusion a été qu’on ne pouvait pas guérir ce grand malade, en raison de tous les comités, commissions et autres qui avaient leur mot à dire. Il a donc été décidé qu’il valait mieux la fermer, virer tout le monde, et en créer une nouvelle de zéro. Mais ça ne pouvait pas être aussi simple : les politiciens sont entrés dans l’arène, le premier ministre Benjamin Netanyahou aussi, puis son épouse, et le gouvernement a été sur le point de tomber !

S.M. : Pour résumer, la chaîne publique historique, et avant tout son service d’information, subissait d’énormes pressions politiques. Les créateurs de la nouvelle chaîne publique, qui doit être lancée le 30 avril, ont prévu de rendre ce service public et ses créateurs indépendants de la politique et des politiques. Quand M. Netanyahou s’en est aperçu, il s’en est mordu les doigts et a voulu annuler l’ouverture de la nouvelle chaîne publique, pour revenir au statu quo.

R.N. : Les politiciens sont les mêmes partout, ils ne veulent pas lâcher l’information. Si bien que pour l’instant, on ne sait pas ce qui va se passer.

S.M. : Le gouvernement a jusqu’au 30 avril pour modifier la loi afin que la nouvelle chaîne publique fonctionne sans journal télévisé, et que l’information continue d’être diffusée sur l’ancienne chaîne du service public.

« I love Dick » remporte le prix spécial du jury

Parmi les séries présentées en première mondiale ou internationale et concourant dans la compétition officielle, le jury international que présidait Damon Lindelof (créateur des séries Lost et The Leftovers, en plus de nombreux films), a distingué un point de vue féminin : celui de Jill Soloway, co-scénariste, avec Sarah Gubbins, de l’innovante série I Love Dick.

En adaptant ce livre de Chris Kraus (1997, réédité chez Flammarion), Jill Soloway, créatrice de l’excellente série Transparent (autour d’un transgenre), donne la parole à une femme qui, de manière épistolaire, s’adresse à un certain Dick - diminutif de Richard mais aussi mot d’argot familier pour désigner le pénis.

Adapté et écrit par des femmes, réalisé par des femmes, retraçant le désir fantasmatique d’une femme pour un artiste nommé Dick, cette série se veut une mise en images radicalement neuve qui, à l’opposé du « male gaze », le point de vue de l’homme comme angle du récit (que ce soit le regard des personnages ou celui de la personne derrière la caméra), prend en charge le regard d’une femme sur le monde autour d’elle (d’où le « female gaze », que Jill Soloway théorisa lors d’une conférence au Toronto International Film Festival, en 2016).

Un récit ambitieux, dans lequel la personnage principale, Chris, cinéaste, explique, lors d’un dîner, que son nouveau film a pour sujet « un couple, ou plutôt une femme, dans un couple, qui représente toutes les femmes écrasées par les attentes sociétales ». Ce que semble être pour sa part I Love Dick, dont on a pu découvrir les trois premiers épisodes pendant le festival, tandis qu’Amazon doit en commencer la diffusion à partir du 11 mai.

Le palmarès complet :

  • Prix d’interprétation féminine : Anna Friel, dans Broken
  • Prix d’interprétation masculine : Kida Khodr Ramadan, dans 4 Blocks
  • Prix du public pour la meilleure série : The Good Fight, de Phil Alden Robinson, Robert King, Michelle King, Ryan Pedersen et Joey Scavuzzo.
  • Meilleure série francophone : Transferts, de Claude Scasso et Patrick Benedek.
  • Meilleure interprétation féminine dans une série francophone : Ophélia Kolb dans On va s’aimer, un peu... beaucoup.
  • Meilleure interprétation masculine dans une série francophone : Arieh Worthalter, dans Transferts.
  • Prix de l’association française des critiques de séries pour la meilleure découverte : Missions, de Julien Lacombe, Henri Debeurme et Ami Cohen.
  • Prix du jury des blogueurs pour la meilleure série : Juda, de Zion Baruch.
  • Meilleure série web et digitale : Loulou, de Alice Vial, Louise Massin et Marie Lelong.