A quelques kilomètres de Rennes, l’association La Jaupitre organise des jeux traditionnels comme le jeu de la grenouille, aux jardins du Thabor. | THIERRY PASQUET/SIGNATURES

Plonk, plonk, un silence et de nouveau plonk. Dans le parc du Thabor, en plein centre de Rennes, le promeneur du dimanche perçoit des sons sourds. Et des cris d’exclamation. Des ­dizaines de trentenaires en uniforme de ri­gueur (jeans slim, sweat-shirt et barbe fournie) jouent au palet breton.

Le quoi ? Le palet breton, qui consiste à ­jeter des palets de fonte sur une planche en bois de 70 centimètres sur 70, placée à cinq mètres. Comme à la pétanque, il faut ­approcher l’objet le plus possible du « maître », un palet plus petit que les autres, équivalent du ­cochonnet, sans déborder jamais des limites de la planche.

« Autrefois, en Bretagne rurale, les hommes jouaient au palet à l’intérieur, sur le sol de terre battue. » Benjamin Keltz, coauteur du « Palet, le manuel officieux »

Le palet breton, pratiqué à Rennes devant les bars, dans les parcs ou les lendemains de mariage, est peu connu en dehors de la « haute Bretagne », un territoire qui dépasse légèrement les limites de l’Ille-et-Vilaine, de Lamballe à Redon, et de Ploërmel à Fougères. « Ce jeu fait partie de l’histoire festive de la région. C’est un étendard de la culture gallèse », du nom de cette partie de la Bretagne où l’on ne parle pas breton, mais gallo, explique Benjamin Keltz, journaliste à Rennes et coauteur du Palet, le manuel officieux (Editions du Coin de la rue, 2015). « Autrefois, en Bretagne rurale, les hommes jouaient au palet à l’intérieur, sur le sol de terre battue. Lorsqu’on a installé du parquet dans les maisons, les femmes leur ont ordonné de jouer dehors. L’habitude s’est prise de lancer les ­palets sur un cul de charrette, en bois », raconte l’auteur.

A Cagnes-sur-Mer (Alpes -Maritimes), a lieu chaque année, le championnat du monde de boules carrées. | BENJAMIN BACHELARD/PHOTOPQR/NICE MATIN

« Il n’existe pas un palet breton, mais des palets bretons », précise Dominique Ferré, ancien documentaliste à l’université de Rennes-II et président de La Jaupitre, association des jeux et sports gallo-bretons. Si on pratique le palet sur planche de bois à Rennes et alentour, on joue volontiers « à la galoche en pays bigouden, au ­palet sur terre vers Carhaix-Plouguer ­ [Finistère] ou au palet sur route aux environs de Pontivy [Morbihan] », explique-t-il. Son association, créée à Monterfil (Ille-et­Vilaine) dans les années 1970, cherche à « remettre ces jeux en ­valeur, à la manière du revival qu’a connu la musique bretonne », ­explique M. Ferré. « Nous avons dénombré 144 jeux traditionnels en Bretagne, sans doute davantage que dans n’importe quelle région de France », assure-t-il.

Rien n’est moins sûr. « Partout en France, il existe des jeux traditionnels, de nouveau au goût du jour, et porteurs d’une identité locale », raconte Aurélien Chaméon, un professeur d’histoire-géographie qui a effectué, voici trois ans, un tour de France à vélo, en visitant chacun des 96 départements métropolitains, par les petites routes. A Fourmies (Nord), on lui a proposé de jouer à la grenouille ; dans le Lyonnais, « la boule lyonnaise est une institution, qui se pratique dans un silence de cathédrale ».

A quelques kilomètres de Rennes, l’association La Jaupitre organise des jeux traditionnels comme le palet breton, aux jardins du Thabor. | THIERRY PASQUET/SIGNATURES

Ces activités se pratiquent le plus souvent à l’extérieur, par équipes, avec des matériaux simples, en bois ou en métal. Ce sont des jeux d’adresse, consistant à renverser des quilles, viser des cibles ou attraper un projectile, tout en déstabilisant l’adversaire à l’aide de tactiques admises par la règle du jeu. Si partout des ­femmes participent, ils restent ­essentiellement pratiqués par la gent masculine.

Règles précises

« Chez nous, dans la Somme, on joue aux assiettes ­picardes », témoigne Luc Decroix, un habitant de Gézaincourt qui a recensé plus d’une centaine de jeux picards sur un site ad hoc (www.jeuxpicards.org). « On lance des assiettes en bois sur une longue table, le plus loin possible », ­explique-t-il. Le jeu, né dans le Vimeu, une région rurale de l’ouest du département, obéit à des règles précises qui concernent aussi bien la largeur de la table que sa matière (du sapin rouge, élastique) ou que le poids des quatorze « assiettes », des disques en bois très dur.

« Dès qu’un jeu commence à voyager au-delà de sa ­région d’origine, les règles changent », constate M. Decroix. Les ­assiettes picardes se lancent lors des fêtes de village ou les jours de beau temps. « Dans mon village, à Gézaincourt, il y a quatre tables. Si vous entendez le bruit des assiettes sur une table, vous avez l’autorisation tacite de pénétrer dans le ­jardin et de vous joindre aux joueurs », relate-t-il.

A Pierrefort (Cantal), c’est aux « boules carrées » que l’on s’adonne les jours d’été. Le jeu est indissociable de l’image de cette bourgade de 1 000 habitants surplombant la vallée de la Truyère. « On se retrouve entre amis, tous ceux qui ont quitté le Cantal pour faire des études supérieures, et celui qui gagne la partie paie son coup. Ça peut durer jusqu’à minuit », raconte Jérémy Vidalenc, un amateur. Et si les joueurs utilisent des cubes de bois peint à la place des classiques boules de pétanque, c’est que les rues sont en pente… Ce jeu captive également certains villages des Alpes méridionales. Chaque année, un championnat du monde de boules carrées se déroule même dans les ruelles abruptes de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes).

Partie de boule lyonnaise dans les traboules de la Croix-Rousse. | SOUDAN E./ALPACA/ANDIA.FR

Le quiller, lui, étend sa zone d’influence en Bourgogne et en Alsace. Cette variante du bowling est très populaire : « Dans ­notre village de Foncegrive [Côte-d’Or], 180 habitants, nous totalisons 25 licenciés », explique José Dicara, qui joue depuis les années 1990. Une piste couverte a même été aménagée au cœur du village, comme dans plusieurs ­localités des alentours.

Dans plusieurs régions, les jeux traditionnels imposent ainsi leur marque, jusque dans les équipements municipaux. « Il n’est pas de village basque sans son fronton, ce mur contre lequel on lance la pelote basque », rappelle M. Chaméon. Et sur la promenade des Anglais, à Nice, on aperçoit les cercles et les droites tracées pour jouer au pilou, un jeu de volant.