La Route de la soie version XXIe siècle n’a plus grand-chose à voir avec les caravanes de commerçants chargées d’épices, de pierres précieuses et d’étoffes rares qui traversaient les plaines d’Asie centrale en direction de la Rome antique.

Aujourd’hui, c’est en conteneurs que voyagent les tee-shirts chinois. Problème, ils voyagent de moins en moins, coûtent de plus en plus cher à fabriquer et l’empire du Milieu voit ses taux de croissance s’effondrer.

« Les dirigeants chinois ont bien assimilé l’interdépendance entre leur économie et celle du reste du monde. Ainsi, quand l’économie mondiale est grippée, la Chine en fait inexorablement les frais. Pékin joue donc son va-tout sur la scène internationale en multipliant les investissements dans les infrastructures », explique Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur d’une note intitulée « Quand la Chine investit dans les infrastructures ».

Un accélérateur de la Chinafrique

En économisant sur les coûts de transport et de logistique, la Chine espère relancer ses exportations. C’est l’objectif de cette fameuse « une ceinture, une route », plus communément appelée « nouvelle Route de la soie », qui verra se rassembler une trentaine de chefs d’Etat, dont les présidents du Kenya et de l’Ethiopie, à l’occasion de ce premier forum organisé à Pékin les 14 et 15 mai.

Les Nations unies, le FMI et la Banque mondiale seront également représentés. Après avoir boudé les initiatives parallèles de la Chine en matière de développement et de finance internationale, les grands argentiers de la planète sont aujourd’hui à la remorque de ce projet. Il ne se passe plus à Pékin une réunion internationale ou une visite d’Etat sans que la Route de la soie ne soit à l’agenda. Pour l’Afrique, ce projet est particulièrement important et certains estiment même que cette route est avant tout un accélérateur de la Chinafrique.

L’Afrique de l’Est tire notamment son épingle du jeu et trois pays sont aux avant-postes : le Kenya, l’Ethiopie et Djibouti. Sur place, les ports, les voies ferrées et les routes sont financés largement par la Chine : 4 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros) pour relier l’Ethiopie à Djibouti, 13 milliards pour irriguer le Kenya d’un maillage de voies ferrées… Plus de la moitié des investissements prévus par la Chine dans le cadre de cette nouvelle Route de la soie iront à l’Afrique.

Ce sont surtout les installations portuaires qui sont concernées. L’encerclement du continent par une dizaine de ports financés par la Chine correspond ainsi à cette « ceinture » évoquée par Pékin. 90 % des importations et des exportations africaines passent par la mer. Durban en Afrique du Sud et Port-Saïd en Egypte étant les deux plus importants ports de conteneurs du continent africain, il était indispensable de proposer d’autres portes d’entrée dans la corne de l’Afrique et en Afrique de l’Ouest et du Nord.

Un usage commercial et militaire

Pour Pékin, il ne s’agit pas d’un programme d’aide mais bien d’un projet commercial visant à relancer et à fluidifier le commerce international. Une sorte de plan Marshall qui permettrait de servir la demande chinoise en matières premières africaines et la demande africaine en marchandises « made in China ».

Côté commercial, ce contrôle des mers porte déjà ses fruits. Les cinq plus importants transporteurs maritimes chinois transportent 18 % des conteneurs qui sillonnent la planète. Concernant les terminaux maritimes, les deux tiers des cinquante plus gros ports de la planète sont financés par des capitaux chinois à hauteur d’au moins 20 %, selon le cabinet FT Research. Les ports à capitaux chinois voient défiler les deux tiers des conteneurs qui circulent sur les mers de la planète.

Mais derrière ce programme se cachent également des ambitions stratégiques. La Chine entend ainsi se développer comme une nouvelle puissance maritime à même de faire face aux Etats-Unis. La pax americana laisserait place à la pax sinica.

Plusieurs de ses nouvelles installations portuaires auront en effet un double usage : commercial et militaire. C’est le cas notamment de Djibouti qui accueillera la plus importante base militaire chinoise à l’étranger, de Sao Tomé-et-Principe, des Seychelles et de Walvis Bay en Namibie.

Ces installations, dont la construction doit s’achever d’ici à la fin de l’année, accueillent déjà des militaires chinois et des bateaux de guerre sous couvert de la lutte contre la piraterie ou de la sécurisation des installations portuaires.

Protéger ses intérêts à l’étranger

Depuis 2015, cette stratégie a été définie dans un nouveau livre blanc. Un document qui explique que la marine chinoise n’a plus seulement pour objectif de défendre les frontières terrestres de l’empire du Milieu, mais également de protéger ses intérêts à l’étranger et les voies de communication maritimes.

Ceci explique comment nous sommes passés d’un chèque de 9 milliards de dollars (8,3 milliards d’euros) en 2012 pour construire un nouveau port à Djibouti à l’ouverture d’une base militaire cinq ans plus tard – sous couvert d’un centre logistique – devenue le centre opérationnel militaire de la Chine en Afrique avec près de 10 000 militaires déployés à terme !

La Route de la soie version XXIe siècle n’est plus seulement commerciale, ce qui inquiète évidemment les Américains, l’un des seuls pays à ne pas participer à ce projet. Le nouveau secrétaire américain à la défense, Jim Mattis, a d’ailleurs effectué une visite, dimanche 23 avril, de la base militaire américaine à Djibouti, la seule permanente des Etats-Unis en Afrique. C’était la première visite en Afrique d’un membre de la nouvelle administration Trump. Le général Waldhauser, lui, qui dirige le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom), avait indiqué en mars au Congrès américain qu’il avait fait part au président djiboutien Guelleh de ses inquiétudes. « J’ai exprimé mes préoccupations sur ce qui est important pour nous que les Chinois fassent ou pas », avait-il déclaré devant la commission des forces armées du Sénat américain.

Cité par le Financial Times, un officiel chinois souligne de son côté qu’en cas de nouvelle crise militaire en Afrique ou au Moyen-Orient – il fait référence à l’évacuation de 36 000 ressortissants chinois de Libye en 2011, « nous pourrions évacuer directement nos ressortissants en utilisant nos propres navires depuis le continent africain vers notre port… du Pirée » (Grèce)… Une route qui n’a plus rien de pacifique.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.