L’invective « Rends l’argent » est devenue si omniprésente que l’on n’a même pas besoin d’avoir suivi de près de la campagne ou d’être utilisateur régulier des réseaux sociaux pour qu’elle soit familière.

Alors oui, elle est née et s’est développée en ligne, dans l’écosystème des forums et des flux Twitter et Facebook. Mais elle a vite fait son apparition dans des meetings, criée à l’arrière des salles, ou retrouvé en fonds d’écran des open spaces de l’école 42 et de Deezer, où devaient avoir lieu des visites de François Fillon.

Les ultimes manifestations, plus du tout virtuelles, de « Rends l’argent » ont culminé avant le premier tour. Dans les rues de Paris, des panneaux de la Mairie ont été piratés pour faire passer le message à ceux qui ne l’auraient pas encore vu.

Ce mème se dissipera en même temps que la candidature de François Fillon. Mais il restera comme le plus tenace et, finalement, le plus représentatif de cette élection présidentielle.

Débordement virtuel

« L’argent », en l’occurrence, est censé représenter les sommes évoquées dès la fin du mois de janvier et les premières révélations du Canard enchaîné impliquant François Fillon : les salaires d’assistants parlementaires reçus par sa femme Penelope, sa fille Marie et son fils Charles, les costumes que lui a offerts Robert Bourgi, les bénéfices de sa société de consulting.

« Rends l’argent, François », « Fillon = rends l’argent », « Rends l’argent, putain » ont été autant de variantes d’un cri de colère succinct, facile à placer, adaptable à tous les contextes.

Comme la plupart des mèmes, celui-ci survit grâce à l’intelligence collective du Web, qui le réinvente sans cesse pour qu’il reste marrant (c’est sa fonction première). Mais contrairement à la plupart des mèmes, il a une durée de vie bien plus longue, survivant à la péremption. Les mèmes de Poutou de dos ou de Macron criant ont rapidement fait leur temps.

« Rends l’argent », on l’a vu et revu passer dans nos flux. L’expression est entrée dans le langage courant de la discussion politique en ligne comme « Supprime » avant elle. Le slogan a complètement débordé du virtuel pour coller durablement aux semelles du candidat jusque dans la « vraie vie ».

« Rends l’argent », façon « Stranger Things ».

Trop varié pour être une simple opération politique

On ne saura jamais exactement où est né « Rends l’argent », ni qui a été la première personne à l’utiliser pour faire la bonne blague au bon moment, avec la bonne photo. Elle a essaimé dès la fin du mois de janvier, par une pétition, par des juxtapositions d’images, des Photoshop ou simplement par cette simple phrase – « Rends l’argent !!! » – revenant comme un reflex pavlovien dès qu’apparaissait le mot « Fillon » où que les comptes de campagne officiels du candidat s’exprimaient. C’était à la fois une expression de colère et un terme qui bloquait tout débat possible.

Le niveau humoristique des deux petits mots était particulièrement élevé et varié, trop organique pour être le résultat d’une orchestration politique dont on voit habituellement les ficelles. Il a été recensé et salué par la presse, qui contribua par la même occasion à sa popularité.

L’expression est passée de pique numérique à un quasi-slogan de résistance. Elle a capturé le zeitgeist d’une campagne qui a déprimé beaucoup d’électeurs. Dès le 10 février, on entendait, parmi les slogans criés par des opposants lors d’un meeting à Poitiers, des « Fillon escroc, rends l’argent » et des variantes, avec une rime différente, résonneront trois semaines plus tard au Salon de l’agriculture. Fin mars, l’équipe de campagne de François Fillon nous disait recevoir « des dizaines d’appels d’insultes chaque jour ».

« On nous traite de voleurs ou on nous dit rendez l’argent !” »

Preuve de son ubiquité, les rivaux politiques de Fillon l’ont vite récupéré. L’équipe de Jean-Luc Mélenchon ne l’a pas seulement utilisé dans son jeu vidéo Fiscal Kombat

… le candidat de La France insoumise a pris le soin, sans doute conseillé par quelqu’un ayant le doigt sur le pouls numérique, de commencer son intervention du débat entre les onze candidats le 4 avril par un « La finance doit rendre l’argent ». Même le réalisateur a tiqué, puisqu’il a immédiatement basculé sur le visage de François Fillon.

« Jean-François Renlar ? »

Le contraste a été saisissant, pendant les derniers jours de la campagne, entre les commentaires de la page officielle Facebook de François Fillon, tous incroyablement militants et positifs, et ceux de sa page Twitter, qui le sont beaucoup moins car il n’y a pas de modération possible. Les tweets de type « agenda », où sont annoncées les apparitions, sont systématiquement suivis d’un déluge de « Rends l’argent » ou, dans le cas de sa douteuse apparition sur Snapchat, de variantes.

Lorsqu’il a annoncé sa venue sur France Inter, le 5 avril, François Fillon a donc non seulement été trollé sur Twitter, mais aussi sur les ondes de la radio. Il a assisté, le sourire un peu forcé, à un sketch de Charline Vanhoenacker et Guillaume Meurice. On ne sait pas s’il a rigolé à la blague suivante (nous, pas trop) :

« – Monsieur et Madame Renlar ont un fils, comment l’appellent-ils ?
– Bah Jean-François
– Jean-François Renlar ?
– Non ! Renlar Jean-François. »

Clem et Jean-Mat : "Ta campagne, François, c'est Breaking bad !" - Le Billet de Charline
Durée : 02:21

Le 20 avril, un autre billet de Charline Vanhoenacker avait pour titre « Inviter Fillon pour lui dire “Rends l’argent, François”, ça ne se fait pas ». Patrick Cohen a alors dit que c’était elle qui avait inventé l’expression, prouvant qu’il passe soit trop de temps dans son studio radio, soit qu’il n’en passe pas assez en ligne.

Trolling et ligne de défense

Pourquoi François Fillon a-t-il été le seul visé par ce trolling généralisé qu’on pourrait, autrement, voir comme un cri d’adhésion contre la corruption généralisée ? Pourquoi le site de compte à rebours « Est-ce qu’il a rendu l’argent » a sa photo en fond d’écran et pas celle de Marine Le Pen, pourtant aussi soupçonnée dans plusieurs affaires ?

Certes il est le seul à avoir été officiellement mis en examen, mais peut-être est-ce dû à sa ligne de défense, difficile voire impossible à suivre depuis trois mois, ou parce que M. Fillon a maintenu sa candidature après sa mise en examen alors qu’il avait promis de ne pas le faire. Ou parce qu’il parle des affaires uniquement pour dénoncer des « calomnies » et qu’il a refusé les interviews de journalistes voulant l’interroger dessus (dont Le Monde).

Certaines apparitions médiatiques au cours de la campagne, assez déconnectées de toute réalité, auront sûrement largement alimenté la machine « Rends à l’argent », comme celle, le 3 avril sur RMC, lorsqu’il reconnaissait… ne pas arriver à mettre de l’argent de côté.

Maintenant qu’il est certain qui ne sera pas à l’Elysée, M. Fillon devra rendre des comptes devant la justice. L’immunité parlementaire dont il bénéficie en tant que député de Paris expire le 30 juin, date de la fin de l’actuelle session du Parlement. La machine tournera encore au moins d’ici là. D’autant que selon Slate.fr, qui cite « une source proche du candidat », François Fillon avait décidé avant le premier tour que sa première mesure serait, littéralement, de rendre l’argent. Mais c’était uniquement en cas de victoire.