Jusque tard dans la soirée, dimanche 23 avril, la chaîne d’information Rossia 24 et plusieurs agences russes ont placé Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle française, devant Emmanuel Macron. Avec force bandeaux rouges ou incrustations d’écran, la candidate du Front national l’emportait obstinément, comme si le compteur, en Russie, s’était figé sur « 50 % des bulletins dépouillés ». Sur quatre finalistes potentiels, trois (Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon) étaient jugés favorables aux visées du Kremlin. Il n’en reste qu’une.

De dépit, Dmitri Kisselev, présentateur vedette de la grande émission d’actualité du dimanche soir sur Pierviy Kanal, la première chaîne russe, a lancé : « Au cours de la campagne, toute la machine de l’Etat français a fait tout son possible pour compromettre les concurrents de Macron, le successeur de Hollande… » Plus tôt dans la journée, la chaîne de télévision de l’armée, Zvezda, annonçait « Macron et Le Pen en tête » sur la foi d’estimations annoncées depuis la Belgique, avec cet ajout, sans détour et en français dans le texte : #JeVoteMarine.

Cité sur cette même chaîne, le politologue Alexeï Moukhine expliquait : « Marine Le Pen a reçu un soutien évident de la Russie, (…) un soutien purement politique, pas technique. En ce qui concerne Macron, c’est l’establishment américain qui le soutient, en partie démocrate. » Une vision binaire partagée. « L’élite », peu importe qu’elle soit française ou américaine, a fait barrage aux yeux de Moscou. Le sénateur Alexeï Pouchkov, parfaitement francophone, résumait ainsi sur Twitter : « L’élite française a tenté d’écarter Fillon de la course (…) et elle y est parvenue. »

Le Kremlin a beau répéter qu’il ne s’immisce pas dans les affaires intérieures des autres pays, Vladimir Poutine avait pourtant clairement fait connaître sa préférence. En faveur de François Fillon, d’abord. Le chef du Kremlin s’était targué devant les caméras, en novembre 2016, d’avoir développé avec l’ex-premier ministre français, décrit comme « un très grand professionnel », « de très bonnes relations personnelles ».

Prêt russe de 9 millions

Les affaires ayant quelque peu entaché la campagne de M. Fillon, Vladimir Poutine a pris parti en recevant au Kremlin, le 24 mars, quatre semaines avant le premier tour du scrutin, la candidate du Front national. « Je sais que vous représentez un spectre politique qui croît largement en Europe », avait-il déclaré à son interlocutrice. Marine Le Pen est ainsi la prétendante à l’Elysée la plus connue en Russie, où elle a bénéficié d’un prêt de 9 millions d’euros accordé par une banque russe en 2014.

Pas un mot sur Emmanuel Macron. Pro-européen, le candidat d’En marche ! est perçu comme un obstacle au « monde multipolaire » que le Kremlin voudrait imposer. Dépeint comme un « mondialiste pro-américain » et le « chouchou des médias », le voici désormais présenté comme le successeur de François Hollande avec lequel les relations se sont dégradées, notamment sur le dossier syrien.