Le ministre australien de la défense et de l’industrie, Christopher Pyne, après un discours lors de la présentation de la collaboration entre l’Australie et DCNS, en décembre 2016. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Tout un symbole. Voici un an que Canberra a discrètement fait connaître sa préférence à Paris pour l’achat de douze sous-marins dérivés du Barracuda de DCNS. C’était un 25 avril, jour férié en Australie, en hommage aux soldats engagés dans la première guerre mondiale et tombés par milliers en France.

Le secret devait être gardé jusqu’au lendemain. Le réveil fut alors brutal pour Berlin et Tokyo, les perdants de cette bataille acharnée pour décrocher le « contrat du siècle », le plus important par son montant de l’histoire de la défense du pays : 50 milliards de dollars australiens, soit 35 milliards d’euros, dont 8 milliards reviendront aux entreprises de l’Hexagone.

« Pression extérieure »

Un an plus tard, différents engagements, comme un accord intergouvernemental entre les deux pays, ont été signés. « L’enjeu, avant la fin 2016, était d’être aussi performant au démarrage du programme que pendant la compétition », explique l’ambassadeur de France en Australie, Christophe Lecourtier. Il s’agit cette année de définir les termes et les conditions des différents contrats de production, tout en engageant en parallèle les négociations sur la conception des sous-marins. Si la fabrication du premier bâtiment débute en 2021 – pour une mise en service vers 2030 –, le dernier sortira des chantiers en 2050 et plongera dans les profondeurs océaniques jusqu’en 2085.

« Au départ, j’ai été frappée par la pression extérieure nous poussant à aller vite, alors que nous sommes sur des contrats portant sur une durée de cinquante ans, il faut donc avancer progressivement pour mettre en place des fondamentaux robustes », souligne Marie-Pierre de Bailliencourt, responsable du développement international chez DCNS, qui a mené depuis le début la négociation australienne.

Le processus est complexe. Il concerne tant les transferts de compétences techniques ou industrielles que la sécurisation de la propriété intellectuelle pour les technologies de DCNS. « Nous avons une série de contrats que nous déroulons progressivement », décrit la directrice générale adjointe de l’entreprise, avant d’en énumérer quelques-uns, comme celui avec Lockheed Martin. Le groupe militaire américain fournira le système de combat à intégrer dans les navires, ce qui pose la question de la protection pour chacun de ses données confidentielles. La priorité est aussi de créer une filière navale souveraine australienne allant de la formation aux divers métiers nécessaires à la construction de sous-marins à la maintenance des bâtiments pendant leur activité, en passant par leur fabrication.

Alliance stratégique

DCNS transférera progressivement à sa filiale australienne ses compétences. De 50 salariés ses effectifs passeront à 200 à la fin de l’année puis progressivement à 2 000 personnes sur le chantier d’Adélaïde (Australie-Méridionale). A Cherbourg (Manche), le nombre d’actifs travaillant sur la conception du sous-marin doublera à la fin de l’année pour atteindre 200 personnes, avec 50 Australiens et une dizaine d’Américains, puis environ 500 salariés au pic du programme en 2023.

L’Hexagone était loin d’être favori pour emporter ce contrat. Face aux Allemands qui promouvaient leur puissance économique, les Japonais leur influence politique dans la région, les Français ont mis en avant leur puissance militaire et l’influence de leur marine, étant le principal allié naval de Washington. Au-delà des sous-marins, la France a proposé une alliance stratégique à l’Australie. « On observe déjà un approfondissement des relations », commente Hugh White, professeur d’études stratégiques à l’université nationale d’Australie (ANU), spécialiste de la défense.

Canberra est satisfait de la progression du contrat, assurent des observateurs dans la défense en Australie. On craignait, en août, un refroidissement des relations après la publication par le quotidien The Australian de documents confidentiels de DCNS sur les sous-marins Scorpène, destinés à l’Inde. « L’objectif de cette fuite était de toute évidence de mettre la France et DCNS dans l’embarras. (…) Mais cela n’a pas fait dérailler le projet. Cette histoire ne semble pas avoir laissé de trace », estime Euan Graham, directeur au think tank Lowy Institute.

Rebondissement

Le programme des sous-marins, au centre des débats en Australie pendant des mois, progresse désormais à l’abri des projecteurs. Il continue cependant de faire parler dans le milieu de la défense. Comme lors de l’annonce, mi-mars, du départ de Sean Costello, PDG de DCNS Australia, personnage-clé dans l’équipe qui a fait gagner la France. Sa démission a suscité une certaine inquiétude dans le milieu de la défense. « M. Costello avait le goût et le talent pour être le premier de cordée en Australie côté DCNS. Il a excellé, explique l’ambassadeur de France. L’étape suivante est une étape industrielle de long terme. On peut comprendre qu’il ait eu envie de relever d’autres défis. »

Un débat refait régulièrement néanmoins surface. L’Australie aurait-elle dû opter pour un sous-marin à propulsion nucléaire et non à propulsion diesel-électrique ? Cela lui aurait permis de gagner en rapidité et en efficacité sur les longues distances, précise M. White. Mais il y a, dans le pays, une forte opposition à l’atome, souligne M. Graham. « Si nous devons traiter dans le futur avec une Chine plus agressive, les Australiens pourraient décider de passer à la propulsion nucléaire », imagine ce dernier. Mais cette conversion « serait extrêmement chère et très controversée », s’empresse-t-il d’ajouter.