C’est par ici le débat. | Stefanie Loos / REUTERS

On a donné à Facebook à peu près tous les torts et tous les mérites dans la mutation des luttes et des débats politiques. Le réseau social aurait été décisif dans le déclenchement des révolutions arabes, mais c’est aussi de sa faute si les communautés religieuses en Syrie sont si polarisées.

Il a permis à de nouvelles formes de lutte de s’organiser (féminisme latino-américain, Nuit debout à Paris, mouvement #NoDAPL aux Etats-Unis), tout en étant tenu responsable de l’émergence des « bulles de filtres » dans lesquelles chacun trouve la petite chambre d’écho de ses opinions personnelles.

En France, entre les deux tours de l’élection présidentielle, Facebook est le lieu par excellence de déversement d’opinions souvent convenues, d’analyses à l’emporte-pièce, d’appels à voter ceci ou cela, de textes écrits trop vite lancés dans le grand réceptacle de votre timeline par vos amis et amis d’amis. Un métier non remunéré d’un genre nouveau y est né, que Rue89 a baptisé « éditorialiste sur Facebook ».

L’éditorialiste sur Facebook est à peu près aussi exaspérant que le « véritable » éditorialiste de plateau télé, dissertant à longueur de soirée électorale sur le sens du résultat. Sur France Culture, Xavier De La Porte faisait la comparaison entre ces derniers et les joutes verbales menées par des internautes « qui pensent que, parce qu’ils sont accueillis par Internet, ils sont automatiquement plus authentiques, plus justes, et débarrassés des travers de tous les éditoriaux politiques ».

Narcissisme et phrases-chocs

On peut dès lors se poser la question : dans un environnement sans limite de caractères, où personne n’a demandé un pavé de 25 lignes à lire à l’heure du coucher, peut-on encore mener un débat sain et constructif ? Ceux qui sont sincèrement tiraillés face à un choix politique trouveront-ils dans leur flux des éléments de réponse ? Ou juste du bruit ?

L’un des problèmes est le narcissisme sous-jacent dans la pulsion d’éditorialiser sur Facebook. A l’inverse de votre copain macroniste avec qui vous discutez au café, le tribun sur Facebook s’adresse à plusieurs centaines, voire milliers de personnes, qu’il connaît parfois très peu.

Lorsqu’il donne son avis sur l’échéance politique à venir, il détient aussi une occasion de montrer son agilité intellectuelle, ses références, son goût de la phrase-choc ou encore un sens de l’Histoire qu’il pense plus affûté que celui du voisin. Est-on alors encore dans la volonté sincère de convaincre l’autre ou dans la mise en scène de soi ? Difficile à dire.

D’autant plus que cela embrouille les esprits de tout le monde. Les soirées électorales étaient déjà une affaire complexe avant que les internautes ne les commentent en direct sur leur mur. Elles le sont devenues encore plus, argue Xavier De La Porte :

« Avant donc, on se couchait avec une impression, et on attendait le lendemain matin pour la préciser ou l’amender. Aujourd’hui, on se couche la tête pleine des résultats, des analyses politiques, des analyses de nos amis, des amis de nos amis, de gens qu’on ne connaît pas qui se réjouissent, s’affligent, se mobilisent ou se démobilisent, qui iront voter ou n’iront pas. »

Le risque de se regarder écrire, sans lire le voisin

ALEX OGLE / AFP

Peu importe votre bulle filtrante, le débat sur vos murs tourne autour du second tour de l’élection présidentielle. Parmi les questions qui cristallisent les passions du moment :

  • Fallait-il ou non que Jean-Luc Mélenchon appelle ses électeurs à voter pour Emmanuel Macron ?
  • Les électeurs en question doivent-ils s’abstenir ou faire « barrage au FN » en votant pour le « candidat des banques » et favoriser la perpétuation d’un « système » qui ne fera qu’encourager encore la progression du Front national ?
  • Pourquoi personne ne s’étonne du nombre de voix du FN ? Pourquoi personne n’est dans la rue comme en 2002 ?

« L’armée en ligne de Jean-Luc Mélenchon » se montre particulièrement bien organisée lorsqu’il s’agit de convaincre son prochain par voie numérique (Joann Sfar en sait quelque chose). C’est désormais la situation inverse qui se produit : les électeurs mélenchonistes, qu’ils soient militants ou non d’ailleurs, doivent prendre une décision. Et tout le monde croit savoir à leur place.

Les exemples sont nombreux : il y a les internautes qui exhortent à voix haute « ceux » (mais qui donc ?) qui ne veulent pas « faire rempart au Front national » de changer d’avis, à grand renfort de souvenirs plus ou moins convaincants. Il y a aussi les insultes à base de sophisme comme « si vous ne votez pas Macron, alors vous êtes un cryptofasciste », ce qui peut paraître un peu court à l’électeur concerné.

Il y a, en face, les mélenchonistes qui s’étranglent à l’idée qu’on leur « ressorte encore le vote utile » alors que pour eux c’est « la peste ou le choléra » entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Il y a ceux qui rappellent le traumatisme du 21 avril 2002 (ils avaient douze ans mais « s’en souviennent très bien ») et ceux qui osent, timidement, de vraies questions : « Si vous voulez nous convaincre, pourquoi ne pas parler du programme d’En marche ! plutôt que d’agiter l’épouvantail du FN ? ». Plutôt que de dire « débat », il faudrait parler de successions d’invectives, où chacun tombe facilement dans le travers qui consiste à se regarder écrire sans lire le voisin.

Comme le rappelait Thomas Gaon, cofondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH), dans notre guide de la conversation sur Internet, il faut aussi se rappeler que le vrai débat, celui où « triomphe la raison » ne peut pas avoir lieu en ce moment. Vous faites de la politique. Donc vous défendez une opinion, pas une vérité universelle. Souvenez-vous en.

Facebook et la vraie vie

Ayons néanmoins une parole d’encouragement pour l’électeur lassé de lire l’opinion détaillée d’un énième camarade de collège sur l’abstention différenciée. Malgré toutes ces ambivalences, Facebook reste un outil politique intéressant.

D’abord – il n’est pas inutile de le rappeler –, c’est grâce à Facebook que vous êtes toujours en contact avec ce camarade. C’est peut-être l’occasion de l’inviter à une soirée-débat sur l’abstention (dans la vraie vie). Ou sur un espace de discussion restreint (groupe ou fil Facebook privé, Whatsapp), où la parole sera plus libre et les arguments plus facile à entendre. On ne discute pas de la même manière à 5 qu’à 500.

De plus, s’il n’est pas idéal pour la discussion, Facebook est utile pour organiser des rassemblements, ou partager des tribunes, des analyses, des articles. Si vous voulez clouer le bec à un macroniste un peu virulent, on vous conseille par exemple celui-ci. Facebook est une source inouïe d’idées et de contre-arguments. Mais par pitié, ouvrez la messagerie instantanée et proposez à votre cousin d’aller boire une bière, plutôt que de l’assassiner dans les commentaires. Cela vaudra mieux qu’un (trop) long discours.

Bons débats à tous.