Pékin a mis à l’eau, mercredi 26 avril à Dalian (province du Liaoning), son deuxième porte-avions, le premier construit par les chantiers navals chinois. | STR / AFP

Pékin a mis à l’eau, mercredi 26 avril, son deuxième porte-avions, le premier construit par les chantiers navals chinois. Si la Chine creuse l’écart avec ses voisins asiatiques, elle reste loin derrière les Etats-Unis, sûrs de leur avance stratégique, estime Sébastien Colin, chercheur au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) à Hongkong et spécialiste de la politique maritime chinoise.

Le lancement par la Chine mercredi 26 avril d’un deuxième porte-avions, le premier entièrement construit par elle, constitue-t-il un tournant ?

Sébastien Colin : Je ne pense pas que cela soit un véritable tournant, c’était attendu et annoncé. On savait depuis la mise en service en 2012 du Liaoning [le premier porte-avions chinois, acheté à l’Ukraine] que d’autres suivraient. Il s’agit certes d’une étape importante, montrant que les projets mis en place dans les années 1990 et 2000 sont aujourd’hui en cours de concrétisation.

Mais sur le plan de la technologie ou de la puissance, c’est une progression et non pas un tournant majeur. L’écart vis-à-vis des Etats-Unis est encore très important. L’amélioration technologique par rapport au Liaoning est que le nouveau porte-avions transporte des missiles de défense aérienne de courte portée. Mais il reste à propulsion diesel et la piste d’atterrissage est une piste courte.

On n’est pas encore en présence d’un porte-avions très avancé comme les Américains en ont en leur possession. On s’en approchera avec le troisième porte-avions chinois en cours de construction, qui devrait disposer d’un système de catapultage. Mais il faudra encore plusieurs décennies pour que la Chine atteigne le niveau des porte-avions américains d’aujourd’hui.

Ce deuxième porte-avions chinois est-il appelé à changer la donne en mer de Chine du Sud ?

Sur le terrain maritime, on est en présence d’un porte-avions qui, comme le Liaoning, est appelé à naviguer à l’intérieur de la première chaîne d’îles [qui va de l’archipel nippon à Bornéo en passant par Okinawa, Taïwan, les Philippines, et entrave l’accès au Pacifique de la marine chinoise en raison de la présence de bases militaires américaines ou d’alliances avec Washington].

Vis-à-vis de ses voisins d’Asie du Sud-Est, la Chine accentue donc son avance. Mais par rapport à la puissance américaine, l’incidence est limitée. Les experts américains disent que la Chine peut construire autant de porte-avions qu’elle veut. Ils estiment disposer d’un avantage certain avec leur réseau de bases militaires et d’alliances de sécurité.

Vis-à-vis de ses voisins d’Asie du Sud-Est, la Chine accentue son avance

Pour pérenniser sa présence au-delà de la première chaîne d’îles, la Chine devra acquérir des porte-avions plus grands et technologiquement plus sophistiqués. La priorité est pour elle d’utiliser ces deux premiers porte-avions pour sécuriser les mers de Chine. Ailleurs, cela semble encore de l’ordre du symbole.

Au niveau régional, l’équilibre des forces peut-il tout de même changer ?

Le Liaoning, que certains considèrent plutôt comme un porte-avions d’entraînement, n’a pas changé la donne du côté américain. Les Etats-Unis ont continué à mener des exercices conjoints avec leurs alliés, comme ceux auxquels participe actuellement [le porte-avions] USS-Carl-Vinson avec les forces d’autodéfense japonaises. Les Américains sont sûrs de leur avance. Ils ont un arsenal tellement développé que l’écart avec la Chine reste très grand.

Ce deuxième porte-avions peut néanmoins les amener à renforcer leurs alliances locales. A l’échelle régionale, les voisins de la Chine savaient que ce porte-avions allait être mis à l’eau, de même qu’ils savent qu’un troisième est en chantier. Mais il est incontestable que ce genre de projets alimente une course aux armements. Même si ces pays ne peuvent pas être au même niveau que la Chine, cela les pousse à s’équiper. Le lancement par Taïwan d’un projet de construction de ses propres sous-marins montre que Taipei veut pouvoir répondre à une éventuelle attaque chinoise.

On voit aussi que pour la Chine, ouvrir des bases n’est plus tabou, certains officiels chinois militent pour. Dans le contexte du projet des nouvelles routes de la soie, des relations étroites de la Chine avec le Pakistan, les observateurs pensent que la Chine pourrait développer des bases, notamment à Gwadar, relançant ainsi l’idée du fameux « collier de perles » de bases chinoises dans l’océan Indien.

La Chine mène également une diplomatie navale très active. C’est dans son intérêt de développer le dialogue et les échanges avec un grand nombre de pays. Le processus de modernisation chinois ne repose pas seulement sur l’armement, mais la formation, la diplomatie, les échanges et des exercices militaires conjoints.

Un autre point important est de savoir dans quelle mesure le ralentissement économique chinois est susceptible d’empêcher la Chine de poursuivre sa modernisation militaire à une telle cadence.