Editorial du « Monde ». Europe sociale, saison 2. La Commission européenne a présenté mercredi 26 avril un « socle de droits sociaux », où sont énumérés vingt principes – non contraignants – pour faire face à la mondialisation et à la numérisation de l’économie. Pile dans l’entre-deux-tours de la présidentielle française, où il était attendu de longue date que Marine Le Pen serait qualifiée.

Sans états d’âme, Jean-Claude Juncker a décidé de faire de la politique. Il a félicité Emmanuel Macron dès le premier tour de l’élection, ce qui est inhabituel. Et le voilà qui tente, avec ses propositions sociales, de contrer les populistes, prompts à dénoncer un abandon par l’Europe des plus vulnérables.

Depuis vingt ans, le mot « social » était tabou à Bruxelles. En raison, d’abord, de l’échec de l’Europe rose à la fin des années 1990, lorsque toute l’Union était aux mains de dirigeants sociaux-démocrates (Jospin, Blair, Schröder, D’Alema…). Cette coalition n’accoucha de rien, si ce n’est d’un appel à être compétitif lancé à Lisbonne en 2000.

Ensuite, tout s’est bloqué, à partir de 2004, en raison des divergences trop fortes dans l’Europe élargie. Les riches Allemands et Scandinaves voulaient gérer seuls leur modèle social, entre partenaires sociaux. Les Anglo-Saxons prônaient une saine compétition, pour endiguer le chômage. Les pays de l’Est voyaient dans toute tentative d’harmonisation sociale une volonté de brider leur principal avantage compétitif, des salaires et des droits sociaux bas.

Les Européens pétris de contradictions

Ainsi, le social a été banni d’Europe lorsque celle-ci est devenue très hétérogène, alors que l’idéal eût été d’avancer. Depuis, la donne a changé. Les Britanniques s’en vont ; Allemands et Scandinaves ont écorné leur modèle, le libéralisant tout en introduisant des règles comme le salaire minimum. Enfin, la Pologne voit arriver des travailleurs ukrainiens et découvre les vertus mais aussi les vices de la concurrence sociale.

Alors y a-t-il un moment social, voire une nécessité sociale ? Attention de ne pas retomber dans les chausse-trappes de l’Union européenne (UE). Les Européens sont pétris de contradictions : sans cesse, ils demandent à Bruxelles de respecter leurs spécificités nationales et de ne pas les « enquiquiner ». Sans cesse aussi, ils dénoncent une Europe froide et lointaine, qui aurait oublié les êtres humains.

L’expérience l’a montré, l’énonciation de principes reste souvent lettre morte. L’instauration de garanties minimales peut décevoir les citoyens des pays à la protection la plus forte. Dans ces pays, elle permet aux plus démagogues de prétendre que l’Europe vise à abaisser les protections chez eux. Enfin, les propositions les plus contraignantes ne trouvent jamais d’accord. L’idée d’un salaire minimal fixé en fonction de la richesse du pays est louable, mais dès qu’on engagera le débat sur le curseur (40 % du revenu médian, ou 60 % comme en France), la foire d’empoigne s’engagera. En outre, appartient-il vraiment à l’UE de fixer les règles des congés parentaux ?

La priorité doit être de se concentrer avec détermination sur les sujets sociaux transfrontaliers, qui entraînent une concurrence sociale délétère : il faut donc trouver les moyens de supprimer la fraude sur les travailleurs détachés et de faire respecter la durée maximale du travail en Europe. Enfin, la meilleure politique sociale est celle qui permet de lutter contre le chômage. La divergence abyssale entre les performances des différents pays de l’UE le montre : le remède est d’abord national.