Ajit Pai a été nommé en janvier par Donald Trump à la tête de la Federal Communications Commission, le régulateur américain des télécoms. | Eric Thayer / AFP

C’est ce que craignaient les défenseurs de la neutralité du Net depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Mercredi 26 avril, le régulateur américain des télécoms, la FCC (Federal Communications Commission), a confirmé leurs appréhensions, en annoncant qu’elle comptait revenir sur ce grand principe.

Celui-ci garantit un accès technique égal à Internet, quel que soit l’utilisateur et quel que soit le service auquel il se connecte. Par exemple, la neutralité du Net interdit aux fournisseurs d’accès de faire payer davantage à leurs clients pour qu’ils bénéficient d’un meilleur débit sur YouTube ou Netflix – ou de faire payer YouTube ou Netflix pour offrir un meilleur débit à leurs utilisateurs. Ce principe, qui régit Internet depuis ses débuts, consiste tout simplement à traiter toutes les données de la même manière, sans discrimination.

En 2015, à l’issue d’un grand débat sur la question aux Etats-Unis, la FCC avait décidé que l’Internet américain était un « bien public », au même titre que le réseau téléphonique, et que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) devaient être soumis aux mêmes règles, incluant la neutralité du réseau. Les FAI se sont alors retrouvés placés sous l’autorité de la FCC, qui a depuis le pouvoir de veiller à ce qu’ils n’enfreignent pas la neutralité du Net. Une immense victoire pour les défenseurs de ce principe – défenseurs des libertés et entreprises des nouvelles technologies – et une grande défaite pour les opérateurs télécoms américains, qui souhaitent le voir tomber, afin de proposer des offres différenciées.

Règles définitives

Quand Donald Trump a nommé à la tête de la FCC Ajit Pai, fervent opposant à la neutralité du Net et ancien conseiller de l’opérateur Verizon, les défenseurs des libertés numériques savaient que la victoire risquait d’être de courte durée. Mercredi, celui-ci a dévoilé une proposition visant à remettre en question la décision de 2015, qu’il qualifie d’« erreur », afin de revenir « au système plus souple qui nous a si bien servi sous les administrations Clinton, Bush, et les six premières années de l’administration Obama ». Le texte, qu’il soumettra au vote de la FCC le 18 mai, interdit aussi toute modification future des règles liées à la neutralité du Net.

Si la proposition est adoptée, elle sera suivie de plusieurs mois de débats et de consultation publique, à l’issue desquels la FCC pourra amender le texte avant de voter à nouveau, cette fois définitivement.

Les grands opérateurs américains comme Verizon, Comcast et AT&T n’ont pas tardé à saluer la proposition. Ceux-ci arguent que le développement des infrastructures nécessaires pour assurer l’augmentation du trafic, qui repose sur leurs épaules, coûte cher, et que les règles de 2015 les empêchent d’avancer. Ajit Pai a même laissé entendre que ces règles nuisaient aux zones rurales et aux foyers les plus pauvres du pays, car ce seront, selon lui, les premières zones à être déconnectées quand les opérateurs n’auront plus les moyens d’assurer leur accès au réseau.

Géants du Web et start-up mobilisés

A l’inverse, les entreprises du Web ont immédiatement fait part de leurs réticences. L’Internet Association, qui regroupe une quarantaine de géants tels que Google, Facebook, Amazon, Microsoft, Twitter, Yahoo!, Netflix, Uber ou encore AirBnB, a souligné dans un communiqué que « les règles actuelles de la FCC sur la neutralité du Net fonctionnent et cette protection des consommateurs ne devrait pas être modifiée ». « Revenir sur ces règles (...) aurait pour résultat un Internet de moins bonne qualité pour les consommateurs, et moins d’innovation en ligne », ajoute l’association, en appelant les membres du Congrès, aussi bien démocrates que républicains, à s’opposer à ce projet.

Un groupe de 800 start-up a de son côté transmis un courrier à Ajit Pai, dans lequel elles assurent que leur avenir dépend de la neutralité du Net. Sans elle, « les fournisseurs d’accès seraient en mesure de choisir des gagnants et les perdants du marché. Ils pourraient ralentir le trafic vers nos services afin de favoriser les leurs, ou ceux de nos concurrents plus installés. Ils pourraient aussi nous imposer de nouvelles taxes. (...) Nos entreprises devraient pouvoir rivaliser avec leurs concurrentes sur la base de la qualité de nos produits et nos services, pas sur notre capacité de payer des taxes à nos fournisseurs d’accès ».

Le début d’une nouvelle bataille féroce ? Peu après cette annonce, d’autres acteurs, comme les sénateurs démocrates Ed Markey et Richard Blumenthal, ou encore l’influent site The Verge, consacré aux nouvelles technologies, ont annoncé qu’ils comptaient se battre pour la neutralité du Net. Ajit Pai, quant à lui, s’est montré sûr de lui : « c’est un combat que nous allons mener, et c’est un combat que nous allons gagner ».