Dans le bois Lejuc, le 22 février, devenu l’épicentre de la résistance au projet Cigéo, que ses opposants qualifient de « poubelle nucléaire » | JEAN CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

La décision était attendue. Mercredi 26 avril, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse) a ordonné « l’expulsion sans délai » des antinucléaires qui, depuis bientôt un an, occupent le bois Lejuc, près de la commune de Bure : une forêt de 220 hectares sous laquelle doivent être creusées, à 500 mètres de profondeur, les galeries du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) des déchets nucléaires français à haute activité et à vie longue. Cette mesure vise au premier chef un jeune Finlandais, Sven Lindstroem, qui s’était installé dans une cabane et qui est depuis retourné dans son pays. Mais elle s’étend à « tout occupant des terrains appartenant à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs [Andra] », qui avait saisi la justice pour obtenir l’évacuation des lieux.

Au cours de l’été 2016, déjà, des opposants au centre d’enfouissement avaient été délogés de ce bois par les gendarmes, avant de l’investir à nouveau. Ils y ont construit des nacelles dans les arbres et des abris de fortune, où ils sont quelques dizaines à se relayer. « L’histoire se répète, mais nous sommes aujourd’hui beaucoup plus forts que l’été dernier, assure l’un des animateurs de la lutte, qui vit depuis plusieurs mois à la « maison de la résistance » de Bure. Nous nous sommes enracinés, des solidarités ont été créées avec des habitants et des paysans, et certains d’entre nous se sont établis dans la région. »

« S’ils nous expulsent, on reviendra », annoncent les anti-Cigéo, qui appellent dès à présent « à une manifestation de réoccupation deux semaines après l’expulsion et à des actions décentralisées partout en France en cas d’intervention des forces de l’ordre ». Ils se sentent confortés dans leur combat par la décision du tribunal administratif de Nancy qui, le 28 février, a annulé la délibération par laquelle la commune de Mandres-en-Barrois avait cédé le bois Lejuc à l’Andra, pour « vice de procédure ». La justice a accordé un délai de quatre mois pour que soit prise une nouvelle délibération municipale rendant l’Andra légalement propriétaire de ce terrain. Mais, dans l’attente de cette régularisation, une expulsion apparaîtrait pour le moins paradoxale.

Il n’est du reste pas certain que le gouvernement sortant, qui a choisi de temporiser sur la « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), soit désireux d’ouvrir un nouveau front de contestation environnementale à Bure, par une intervention des forces de l’ordre qui, estiment les opposants, « marquerait d’une tache indélébile la fin du quinquennat de François Hollande ». Il n’est pas sûr non plus que le prochain locataire de l’Elysée soit très enclin à inaugurer son mandat, dans le domaine de l’écologie, par une telle décision. Même si le favori des sondages pour l’élection présidentielle, Emmanuel Macron, avait cherché à pousser le projet Cigéo en le glissant, en juillet 2015, dans sa « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ». Un cavalier législatif censuré par le Conseil constitutionnel.

« Une expulsion par la force et en catimini, alors que l’attention des médias est rivée sur le feuilleton présidentiel, constituerait un procédé particulièrement déloyal, estime le réseau Sortir du nucléaire. François Hollande, qui s’est targué de renforcer la démocratie environnementale, oserait-il finir son quinquennat sur un acte aussi lâche ? »

En tout état de cause, le conflit entourant le projet de stockage radioactif de Bure est loin d’être terminé. Le 2 mai, un agriculteur de Cirfontaines-en-Ornois (Haute-Marne), Jean-Pierre Simon, passera devant le tribunal de Bar-le-Duc pour avoir prêté main-forte aux occupants du bois Lejuc, en juin 2016, en mettant à leur disposition un tracteur et une remorque. La Confédération paysanne, dont il est membre, appelle à une journée de mobilisation sur le thème : « Nos campagnes ne sont pas des poubelles. »

L’Andra prévoit de déposer une demande d’autorisation de création du centre d’enfouissement des déchets radioactifs en 2018, pour une mise en service en 2025.

A Bure, avec les opposants au « cimetière radioactif »