Les chaussures de la diversité. | MaxPixel's contributors / http://maxpixel.freegreatpicture.com/

Oublions un instant les termes tels que « ville intelligente », « vivable », « durable » ou « nouvelle », le vrai défi est de trouver les meilleures façons d’améliorer chacune d’entre elles, autrement dit d’innover. Encore faut-il préciser qu’à la différence de l’invention, l’innovation est faite de la combinaison d’éléments qui ne sont pas tous nouveaux. Innover c’est, très souvent, s’organiser de façon différente, utiliser autrement des outils existants avec, de temps en temps, une dose de jamais vu, voire un coup de pouce fourni par les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Après plusieurs voyages pour essayer de saisir les conditions de l’innovation à travers le monde, j’ai retenu cinq caractéristiques que l’on retrouve, à des degrés différents, à peu près partout : espaces ouverts, diversités, sérendipité, désordre et désobéissance. Elles peuvent nous aider à mieux comprendre le dynamisme urbain.

Le mot le moins connu est celui de « sérendipité ». Il indique le fait de découvrir par un heureux hasard ce qu’on ne cherchait pas, quand on travaille sérieusement et longtemps, comme l’explique bien Sylvie Catellin dans son livre sur le sujet (Sérendipité, du conte au concept, Le Seuil, 2014).

Alliés à de multiples diversités (de genres, d’origines culturelles ou ethniques, de compétences professionnelles ou d’âges, entre autres), les espaces ouverts et le désordre facilitent l’émergence d’assemblages inattendus qui permettent de résoudre un problème ou de saisir une opportunité.

Frictions et étincelles

Contrairement à ce que l’on peut être tenté de croire, tout n’est pas poli et rond. Les frictions sont bienvenues. Elles font surgir les étincelles. L’innovation requiert un peu de chaos. On comprend mieux l’écosystème qu’elle requiert en imaginant de mauvaises herbes ou une forêt tropicale plutôt qu’un jardin à la française. C’est ce qu’ignorent, à leurs dépens, ceux qui s’efforcent d’innover comme on produit, avec des contrôles aussi précis que possible.

Quant à l’idée selon laquelle « innover, c’est désobéir », elle tient au fait que les choses telles que nous les connaissons résultent d’un ordre établi. Que celui-ci entretient des intérêts qui se défendent et qu’il faut, pour faire bouger le schmilblick, envisager de sortir des clous… en attendant que règlements, lois et institutions s’adaptent à la transformation en cours.

Tout commence donc par ces espaces ouverts alimentés par de multiples diversités. Le musicien Brian Eno propose un mot pour distinguer le génie collectif du génie individuel. Le second se disant « genius » en anglais, il propose d’appeler le premier « scenius ». Le génie du groupe a besoin d’une scène et implique un espace. On peut le voir dans tous les tiers lieux, coworking (espaces de travail partagé) , fablabs ou autres.

Des acteurs divers et inhabituels

Copions-le. Pourquoi ne pas appeler « xenius » le génie qui nous vient de la diversité (les Français étant plus frileux face aux mots nouveaux, j’ose à peine proposer d’ajouter cet usage au terme « xénie » qui signifie d’abord « insolite »). La racine vient du grec ancien xenos qui veut dire « étranger ». Pour innover, il faut donc un espace - une scène - et des acteurs différents, divers, inhabituels. Ainsi, les entreprises réussissent mieux quand elles ont plus de femmes au sein de leur direction, les villes quand elles abritent plus de gens venus d’ailleurs.

Citons à simple titre indicatif, San Francisco, Mountain View ou Menlo Park dans la Silicon Valley (où la moitié des fondateurs de start-up sont nés hors des Etats-Unis), New York, ville cosmopolite par excellence, Londres (qui proteste contre la fermeture que devrait induire le Brexit) ou Paris. Et que dire de ces ports plus ouverts que les capitales de leurs pays comme Saint Péterbourg, Shanghai ou Bombay ?

Les villes qui réussissent aujourd’hui attirent une multiplicité de flux divers : industriels, humains, d’informations ou autres. Rarement en guerre l’une avec l’autre, elles sont en compétition. Plus ceux qu’elles attirent sont d’origines diverses, plus elles avanceront. Cette réflexion vaut aussi pour les territoires qui souffrent de marginalisation. À la périphérie ils attirent moins de flux, ce qui leur permet un entre-soi rassurant au début mais vite asphyxiant. Une des façons de les revitaliser est peut-être de les reconnecter à des flux divers. En créant des lieux, des événements, des prétextes à des circulations de toutes origines et de toutes natures. Nous avons tous besoin d’espaces ouverts et de diversités.