Exploration des gaz de schiste de la compagnie publique Yacimientos Petroliferos Fiscales, à Vaca Muerta (Argentine). | JUAN MABROMATA / AFP

Ce qui lui est interdit de faire en France depuis 2011, Total le fait en Argentine. La major française a annoncé, jeudi 27 avril, qu’elle lançait le développement de Vaca Muerta, l’une des plus grandes formations de gaz et de pétrole de schiste de la planète, selon les relevés de l’US Geological Survey. Cette décision marque la relance de ses grands investissements depuis leur quasi-gel en 2015 à la suite de l’effondrement des prix du pétrole, réduits de plus de moitié depuis juin 2014. Total profite aussi de la baisse des coûts du secteur parapétrolier, qui a dû réduire les dépenses de ses équipements et de ses services sous la pression des compagnies pétrolières, et de la décision du gouvernement de Buenos Aires de poursuivre la hausse des tarifs du gaz dans les prochaines années.

« Nous avons sous nos pieds en Argentine des ressources géantes de gaz non conventionnel, c’est le début d’une belle histoire », s'est réjoui Patrick Pouyanné, PDG de Total, en marge du 18sommet international sur le pétrole organisé, jeudi à Paris, par l’Institut français du pétrole Energies nouvelles et la revue Pétrostratégies. Pour cette première phase de développement, son groupe investira 500 millions de dollars (460 millions d’euros) sur trois ou quatre ans. La production de gaz sera traitée par une usine existante qui fonctionnera désormais à pleine capacité pour produire 16 millions de mètres cubes (m3) par jour, soit l’équivalent de 100 000 barils équivalent pétrole, Total portant sa part dans le permis d’exploitation de 27 % à 41 %.

Le géant français est présent en Argentine depuis 1978, où il est le deuxième opérateur gazier. Il avait lancé dès 2011 des campagnes d’exploration sur Vaca Muerta, immense gisement de pétrole et gaz de schiste de 30 000 kilomètres carrés de la province de Neuquén (nord de la Patagonie), à quelque 1 500 km au sud-ouest de la capitale argentine. Outre la compagnie publique Yacimientos Petroliferos Fiscales (YPF), l’anglo-néerlandais Shell et l’américain Chevron ont obtenu des licences d’hydrocarbures dans cette région qui fait figure de deuxième eldorado des hydrocarbures non conventionnels derrière l’Amérique du Nord.

Desserrer les vannes de l’investissement

En février, lors de la présentation de résultats 2016 marqués par une forte résilience à la chute des prix, Total avait annoncé un début de reprise des grands projets dans les dix-huit prochains mois. Cinq sont qualifiés de « géants » : Libra 1 (Brésil), South Pars 11 (Iran), Lac Albert (Ouganda), Bonga South West (Nigeria) et Libra 2 (Brésil) ; et cinq de « développements satellites », dont Vaca Muerta. Une inflexion notable après deux ans de coupes claires dans les investissements en capital dans l’exploration-production, tombés de 28 milliards de dollars en 2013 à 14-15 milliards aujourd’hui.

Pour desserrer les vannes de l’investissement, le groupe s’appuie sur sa discipline financière, le rebond du Brent (+ 58 % par rapport au premier trimestre 2016) et de solides résultats (+ 56 % au premier trimestre à 2,558 milliards de dollars). Deuxième compagnie pétrolière européenne par la capitalisation boursière derrière Shell, Total affiche une hausse de 4 % de sa production d’hydrocarbures. Elle a atteint 2,569 millions de barils par jour au premier trimestre, notamment grâce à la montée en puissance de l’exploitation de projets géant comme Kashagan (Kazakhstan) dans le pétrole ou Laggan-Tormore (Ecosse) et Angola LNG dans le gaz.

« La solidité du bilan et la poursuite sans relâche du programme de réduction des coûts permettent au groupe de lancer de nouveaux projets et d’acquérir des ressources en bénéficiant pleinement de la déflation en cours dans le secteur pétrolier », a souligné M. Pouyanné. Des réductions de coûts qui se sont chiffrées à 3,5 milliards en cumulé sur 2014-2017 et qui seront accrues, prévient Patrick de la Chevardière, le directeur financier de Total.

La crise sans précédent du secteur pétrolier, débutée il y a près de trois ans, n’est pas achevée, estime M. Pouyanné, qui cherche la rentabilité « quel que soit le prix du pétrole ». En 2014, le point mort de Total était à 100 dollars le baril ; il est tombé à 40 dollars. « L’instinct de survie, ça fonctionne bien, confiait-il le 24 mars, invité des « Matins HEC-Challenges ». On innove bien quand on est dos au mur. »