Après avoir photographié ses modèles, l’artiste a associé à ses clichés de femmes débridées des images d’intérieurs tirées du manuel de la  parfaite ménagère dont elle s’est inspirée. | Roos Quakernaat

Avant la révolution sexuelle de la fin des sixties, les femmes avaient plus de devoirs que de droits. Règle numéro 1 : se comporter en bonne ménagère, en épouse exemplaire, et en mère irréprochable. C’est dans un guide néerlandais de la parfaite femme au foyer rescapé des années 1950 que la photographe Roos Quakernaat a trouvé son inspiration pour la série A Proper Dish (« un plat approprié ») réalisée en 2016 et présentée au prix de la Photographie du Festival de mode et de photographie à Hyères qui est décerné ce week-end.

Sois belle et tais-toi

En feuilletant ce manuel en noir et blanc, la jeune femme tombe des nues. L’ouvrage fourmille de conseils en savoir-vivre, sexistes en diable : bien faire la cuisine, décorer son intérieur, servir le chef de famille. Le tout avec le sourire de la crémière, toujours tirée à quatre épingles, et de préférence silencieuse. Sois belle et tais-toi. « Le livre donne même des conseils pour bien se comporter avec les animaux domestiques », s’étonne Roos Quakernaat.

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Quand on naît aux Pays-Bas en 1989, ces conseils de grand-mère appartiennent à la préhistoire. Et pourtant, la parité néerlandaise est en trompe-l’œil. La moitié des femmes n’y est pas indépendante financièrement et il leur est toujours conseillé de veiller sur les fourneaux et les berceaux plutôt que sur la marche du monde. « Les Néerlandais peuvent être conservateurs, reconnaît la photographe. Par exemple, expliquer à ma famille que je préférais faire de l’art plutôt que du droit n’était pas évident. Je pense qu’il y a encore beaucoup de pressions sur les femmes, dans certaines cultures. Le conformisme vaut en fait pour tous les sexes. On attend des hommes comme des femmes qu’ils agissent d’une certaine façon, qu’ils suivent le mouvement. »

« Je voulais qu’elles aient l’air puissantes et décalées à la fois, qu’elles montrent qu’on n’a pas à être conformiste. » Roos Quakernaat

Pour dénoncer ce carcan, la photographe a eu l’idée de faire poser des jeunes femmes dans des positions incongrues et loufoques. Pour recruter ses modèles, elle poste sur Internet une annonce leur demandant de venir avec des vêtements qui « font dame ». En échange, elle leur promet une bouteille de vin et un tirage photo. Les quarante filles qui répondent à l’appel se retrouvent donc à se contorsionner dans des postures dérisoires, absurdes, dysfonctionnelles parfois. « Je voulais qu’elles aient l’air puissantes et décalées à la fois, qu’elles montrent qu’on n’a pas à être conformiste », résume Roos Quakernaat. Une partie de ces poses lui a été inspirée par le chapitre Gymnastique du manuel de la bonne ménagère. « Au début, j’avais en tête les positions que je voulais que ces femmes prennent, mais finalement, je les ai laissées faire. Dans chaque photo, il y a beaucoup d’elles », raconte la photographe.

Les mauvaises ménagères

Les visages sont cachés. « Je voulais garder un certain anonymat. Le fait de masquer les visages permet de voir ces femmes soit comme des sujets, soit comme des objets », poursuit Roos Quakernaat. Après avoir photographié ses modèles, l’artiste a réalisé des associations entre ses clichés de femmes débridées des années 2000 et ceux d’intérieurs extraits du livre. Comme un appel à une révolution permanente. N’allez pas pour autant lui parler de féminisme. « C’est plus une recherche sur ma propre sexualité que du féminisme pur et dur, glisse-t-elle, elliptique. Je montre peut-être ma propre insécurité. Je ne sais pas si je parviens moi-même à me libérer des règles. » « Être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile », disait la chanson.