Le déclin du rêve américain a souvent été cité ces derniers mois comme l’un des principaux facteurs pour expliquer la montée du populisme aux États-Unis et le vote en faveur de Donald Trump. L’idée selon laquelle n’importe quelle personne peut devenir prospère grâce à son travail, son courage et sa détermination a baigné des générations d’Américains qui aspiraient à rejoindre la classe moyenne. Mais ces dernières années, cette espérance s’est peu à peu évaporée laissant le sentiment à une partie de plus en plus large de la population que leur vie serait moins confortable que celle de leurs parents. La difficulté jusqu’à présent consistait à mesurer l’ampleur du phénomène avec des chiffres suffisamment représentatifs et fiables. Une nouvelle étude, dirigée par Raj Chetty, chercheur à l’université de Stanford (Californie) et publiée le 28 avril dans la revue Science apporte une contribution essentielle pour étayer le phénomène.

Intitulée : « Le déclin du rêve américain : tendances de la mobilité du revenu absolu depuis 1940 » cette étude montre que les chances pour les individus nés dans les années 1980 de mieux gagner leur vie que leurs parents ont considérablement chuté par rapport à la génération des années 1940. Pour les Américains nés aux alentours de la seconde guerre mondiale, la probabilité d’avoir des revenus supérieurs à ceux de ses parents était de 92 %. Quarante ans plus tard, les chances ne sont plus que de 50 %. « La part des enfants qui gagne plus que leurs parents a chuté sur l’ensemble de l’échelle des revenus avec le déclin le plus important pour les familles appartenant à la classe moyenne », explique M. Chetty.

Approche novatrice des chercheurs

Pour arriver à ces conclusions spectaculaires, l’équipe de chercheurs a adopté une approche novatrice en combinant à la fois les données du recensement américain et les données de l’administration fiscale, tout en intégrant la variable de l’inflation. Cette méthode a permis non seulement de mettre en évidence la chute drastique de la probabilité d’atteindre un niveau de vie supérieur à la génération précédente, mais elle met également en lumière des disparités régionales significatives. Ainsi, c’est dans les États du Midwest comme l’Indiana et l’Illinois que ce que l’étude appelle la « mobilité sociale ascendante » a le plus chuté. C’est également cette région industrielle de la « Rust Belt » (la ceinture rouillée) qui a permis de faire basculer l’élection présidentielle américaine en faveur de M.Trump. En revanche, la côte nord-est des États-Unis, dans des États comme le Massachusetts ou New York, le phénomène a pris beaucoup moins d’ampleur. C’est aussi le cas dans un Etat rural et peu peuplé comme le Montana.

Alors que les chercheurs évoquent le ralentissement de la croissance économique pour expliquer la panne de l’ascenseur social, ils estiment que la montée des inégalités avec une redistribution de la richesse en faveur des plus aisés constitue probablement le principal moteur du déclin du rêve américain.

Augmenter les revenus des classes moyennes et inférieures

En fin de compte, sans une modification importante de la répartition actuelle de la richesse, agir sur toute autre variable n’aurait qu’un effet modeste sur la capacité des individus à retrouver une mobilité sociale ascendante. « Selon nous, une croissance [du produit Intérieur Brut] est nécessaire mais pas suffisante pour restaurer une mobilité intergénérationnelle en termes de revenus », écrivent les chercheurs. « Des éléments de preuve suggèrent que pour augmenter la mobilité des revenus, les décideurs politiques devraient se concentrer sur l’augmentation des revenus des classes moyennes et inférieures », ajoutent-ils.

Des mesures comme l’augmentation du salaire minimum, la généralisation de la scolarisation en maternelle, un accès facilité aux universités publiques ou encore des incitations financières pour aider les familles avec enfants à quitter les quartiers pauvres afin de bénéficier de meilleures écoles pourraient contribuer à réduire les écarts de revenus et à relancer l’ascenseur social.