Documentaire dimanche 30 mars sur Arte à 22 h 35

Les cinéastes de la Nouvelle Vague l’appelaient « le patron » et François Truffaut estimait que La Règle du jeu était le film qui avait suscité le plus de vocations dans sa génération. Aujourd’hui encore, la plupart des réalisateurs, tel Cédric Klapisch, affirment que Jean Renoir reste leur « père spirituel ».

Dans le cadre d’un hommage que lui rend Arte, à partir du 30 avril, avec un cycle de films restaurés, la chaîne propose un portrait inédit du cinéaste réalisé par Alexandre Moix et construit autour de rares archives télévisées, d’entretiens pleins de vie et d’élégance avec celui qui a réalisé trente-huit films, dont la plupart sont devenus des classiques. ­Photos d’archives de son père, extraits de ses films de la ­maison familiale de Cagnes-sur-Mer et plusieurs témoignages viennent éclairer la personnalité de cet immense cinéaste, dont la fonction, disait-il, était d’« ouvrir les fenêtres ».

Né en 1894 sur les hauteurs de Montmartre, à Paris, presque en même temps que le cinéma des frères Lumière, Jean Renoir admirait profondément son père, Auguste Renoir. Avec le recul, il admet avoir nourri un complexe face à la figure écrasante et tutélaire de ce paternel qui, assis dans son fauteuil, peignait tous ses chefs-d’œuvre sans pouvoir bouger. « En 1917, j’ai été blessé assez grièvement à la guerre, je ne pouvais pas marcher. Et mon père ne pouvait pas marcher non plus, de sorte que, pendant la convalescence, j’étais bien obligé de rester dans son atelier à le regarder peindre, ou le soir au coin du feu, et nous bavardions », raconte Jean Renoir, qui rêvait d’être épicier et, surtout, de se faire un prénom.

Photo de Jean Renoir prise en 1962, à Paris, sur le tournage de son film « Le Caporal épinglé ». | STAFF/AFP

« Je ne pensais pas que ce serait bien de me lancer dans un métier ressemblant à celui de mon père », explique-t-il. Finalement, ce sera le cinéma dans les années 1920, par amour pour Catherine, l’un des modèles de son père qui était aussi actrice. Il tourne avec elle de petits films dans lesquels il s’amuse à introduire des effets spéciaux et des trucages. « Mon principal objectif était ma propre joie, et une joie qui existe pendant la fabrication. Le résultat, en réalité, ça ne m’intéresse pas tellement. (…) J’ai passé ma vie à aimer les jouets. Les jouets sont toujours pour grandes personnes. Le cinéma, ce n’est pas autre chose qu’un jouet. »

Une société « résolument pourrie »

De dilettante, Jean Renoir devint un réalisateur en vue avec l’avènement du parlant. Empathique avec ses acteurs et les grandes causes, il s’engage aussi au côté du Parti communiste français, pour lequel il réalise un film de propagande, La vie est à nous, tout en s’orientant vers des films critiques sur la société, qu’il considérait comme « résolument pourrie ».

Scrutant le meilleur de la nature humaine, il réalisa plusieurs chefs-d’œuvre : Les Bas-Fonds (1936), d’après Maxime Gorki, La Grande Illusion (1937), film honni par Hitler, La Bête humaine (1938) et La Règle du jeu (1939), échec cuisant à sa sortie avant d’être redécouvert. « Il y a une force à laquelle j’aime sacrifier dans mes films, c’est la fatalité. Je crois qu’on ne remonte pas le courant, que nous sommes pris dans une espèce de rivière qui nous pousse, qui nous mène, et que les hommes ne sont pas ou méchants ou bons, ou traîtres ou pas traîtres, simplement qu’ils sont les jouets d’une espèce de destinée », disait Jean Renoir, qui mourut le 12 février 1979 aux Etats-Unis, à l’âge de 84 ans.

Quand Jean devint Renoir, d’Alexandre Moix (Fr., 2017, 54 min).