Un supporteur du président Uhuru Kenyatta, le 27 avril à Nairobi. | THOMAS MUKOYA / REUTERS

Le Kenya a mis fin, dimanche 30 avril, à plus de deux semaines de campagne pour l’organisation des primaires des partis politiques du pays en vue des élections générales (présidentielle, législatives) qui auront lieu le 8 août. A cent jours du scrutin et dix ans après les violences post-électorales de 2007, qui avaient fait 1 100 morts et plus d’un demi-million de déplacés, cette étape avait valeur de test. Il a viré au chaos généralisé, et plusieurs fois au drame.

L’objectif initial semblait louable pour tous les partis politiques participant au processus : à savoir consulter leurs adhérents afin de désigner des candidats aux postes de députés, sénateurs, gouverneurs et représentants des assemblées locales du pays. Un exercice déjà pratiqué en 2013 lors des dernières élections... et déjà entaché de fraudes.

L’expérience n’a pas servi de leçon. A Nairobi, les médias n’en finissent pas de lister les irrégularités ayant émaillé les primaires de chaque parti politique. Au choix : des bulletins trop peu nombreux (parfois moins de la moitié nécessaire) avec bien souvent des noms de candidats oubliés, des registres manquants, du matériel électoral arrivé le jour même du vote avec des heures de retard... Sans parler des innombrables cas de corruption et d’intimidation, pratiquée jusque devant le bureau de vote.

Tout cela a entraîné retards et annulations, ainsi que la colère de milliers d’électeurs. Chaque grande ville kényane a connu son lot de batailles fratricides et de chaos entre supporters du même parti, déçus du résultat ou révoltés contre les conditions du scrutin. A Nairobi, une bagarre s’est achevée par la mort d’un homme, poignardé avant d’être renversé par un véhicule alors qu’il tentait de s’enfuir. Les journaux ont également fait état de kidnappings, d’échange de coups de feu et de mise à sac de bureaux de vote. A plusieurs occasions, la police a dû intervenir, usant de gaz lacrymogène et tirant en l’air afin de disperser les groupes de centaines manifestants.

43 tribus officielles

« Avons-nous oublié l’inoubliable chemin que notre pays a pris en 2007 ?, s’est interrogé Scheaffer Okore, responsable de SiasaPlace, une ONG incitant les jeunes Kényans à s’engager en politique, dans les colonnes du quotidien Daily Nation. Il est clair que les principaux partis politiques impliqués dans les primaires n’ont pas la volonté politique de mettre en pratique la démocratie (…). Le favoritisme, le hooliganisme et le sabotage entachent leurs méthodes. »

Pour la plupart des observateurs, les primaires représentaient depuis longtemps la partie la plus risquée de tout le processus électoral. Dans un Kenya toujours divisé entre ses 43 tribus officielles (et innombrables sous-tribus), politique et ethnie se confondent. C’est le cas chez les deux grands partis : le Jubilee (JP) du président sortant Uhuru Kenyatta et l’Orange Democratic Movement (ODM) mené par l’éternel opposant Raila Odinga. Les Kikuyus se rangent en masse derrière le premier, en particulier au Kenya central, quand les Luos de l’Ouest votent à une très large majorité pour le second. Etre le candidat désigné par le bon parti au bon endroit est bien souvent une assurance de l’emporter.

Mais si la bataille fut âpre, c’est aussi par opportunisme. La Constitution kényane, adoptée en 2010, a donné un rôle majeur aux gouverneurs et aux représentants locaux des 47 comtés du pays. Autant de positions prestigieuses, mais aussi lucratives. Ainsi, un membre siégeant dans une assemblée de comté se voit-il garantir par la loi un salaire de 2 200 euros en moyenne (voire 4 000 à 5 000 avec les indemnités). Un juteux pactole, dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas les 110 euros.

Résultat : un nombre très élevé de Kényans se sont portés candidat ces deux dernières semaines. Selon le Daily Nation (la commission électorale indépendante ne donnant aucun chiffre officiel), ils auraient été près de 13 000 à tenter leur chance aux primaires, tous partis confondus, rien que pour les postes de membres des assemblées de comté. Et ce alors que le pays n’en élit que 1 450 !

Un camouflet pour le chef de l’Etat

Faut-il voir dans cette séquence peu reluisante une répétition générale de violences à venir en août ? « Pour dire la vérité, deux ou trois morts, c’est peu pour le Kenya. Cela aurait pu vraiment dégénérer, on craignait bien pire. C’est peut-être même un bon signe », commente un diplomate en poste à Nairobi.

Les primaires ont également permis de renouveler une partie de la classe politique. Des figures nouvelles ont pu émerger, dont plusieurs femmes et représentants de la minorité indienne, en bonne position pour ravir des postes de gouverneur ou de député.

Une sorte de « dégagisme » à la kényane a également été à l’œuvre et nombre de cadres des partis au pouvoir n’ont pas reçu l’investiture des électeurs. Ainsi en est-il allé d’au moins six gouverneurs sortant et d’une petite dizaine de députés. A Kiambu (centre), bastion du Jubilee, la nièce du président Kenyatta s’est vu refuser sa nomination par les militants du Jubilee en tant que candidate au poste de membre de l’assemblée de comté. Un véritable camouflet pour le chef de l’Etat.

Le processus n’est pas terminé. Nombreux sont les candidats défaits contestant encore le résultats du scrutin. Les partis ont jusqu’au 10 mai pour remettre les noms de leurs candidats à la commission électorale. Mais deux sont d’ores et déjà connus : ceux d’Uhuru Kenyatta et de son challenger Raila Odinga, prétendants à la fonction suprême. Aucun d’eux n’a jugé nécessaire de passer par la case primaire.