Marine Le Pen en meeting à La Bazoche Gouet, lundi 3 avril 2017. | Thibault Camus / AP

Editorial du « Monde ». Sortira, sortira pas ? A une semaine du second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen a semé le trouble sur son programme, qui prévoit la sortie de l’euro. Le sujet n’est plus mentionné dans sa profession de foi électorale. Le référendum sur la sortie de l’Union européenne non plus. Ce qui n’empêche pas Mme Le Pen de souffler le chaud et le froid, affirmant, dans Le Parisien : « L’euro est mort ! »

Ce flou est volontaire. La candidate du parti d’extrême droite Front national (FN) a besoin de flatter son électorat radical, qui veut une rupture complète avec la construction européenne et l’économie sociale du marché – les deux piliers qui font que la France, en dépit de ses difficultés, reste la sixième économie de la planète. Mais Mme Le Pen doit aussi élargir son socle électoral, en partie auprès des sympathisants de droite. Si la sortie de l’euro s’est avérée un thème peut-être efficace pour siphonner l’électorat populaire, il a également conduit le Front national à toucher ses limites. On l’a vu lors des élections régionales fin 2015 : retraités et petits commerçants ne veulent pas d’une sortie de l’euro. Que ferait Mme Le Pen élue ? Deux solutions sont possibles : la sortie ou le maintien.

La sortie, c’est la dévaluation immédiate de la monnaie nationale, le franc Le Pen, estimée à environ 30 % par les économistes, face à ce qui sera devenu l’euromark. Elle signifierait l’envolée des dettes françaises, remboursables en euros à un prix augmenté d’autant. Le FN invoque la lex monetae, qui veut qu’une dette soit remboursée en monnaie nationale. D’abord, l’argument ne vaut pas pour les entreprises. Ensuite, cette attitude conduirait les agences de notation à déclarer l’Etat français en faillite et les marchés financiers à exiger des taux prohibitifs pour financer nos déficits et se protéger du risque Le Pen.

A côté du franc, une monnaie réservée aux puissants

Cette envolée du loyer de l’argent aura pour conséquence l’effondrement des comptes d’assurance-vie des Français – cette épargne est constituée d’obligations du Trésor –, qui devront être gelés. Confusément, les Français le savent. D’où le revirement de Mme Le Pen.

Sauf que cette volte-face revient à retirer la clé de voûte de l’édifice Le Pen, à faire s’effondrer la cathédrale de promesses sur laquelle est échafaudé son programme : relance unilatérale de l’économie, taxation des salaires des étrangers, protectionnisme à sens unique, tout cela devient impossible sans la sortie de l’Europe.

Alors, Mme Le Pen tente une ultime parade. Elle annonce inventer une monnaie commune, le retour a l’écu. Pour mémoire, l’écu n’était pas une devise, mais un panier de devises composé des monnaies européennes. Le recréer implique de passer par la phase 1, la sortie ruineuse de l’euro. Cela ne signifierait pas le retour aux années 1980, mais une plongée dans l’Amérique latine des années 1990, qui a connu la dollarisation de ses économies, le billet vert étant jugé seul digne de confiance.

En France circulerait, à côté du franc, une monnaie réservée aux puissants, aux entreprises et aux plus fortunés, l’euro – en fait, l’euromark –, la seule devise acceptée pour les transactions importantes, comme l’immobilier ou l’achat d’une voiture. Le franc Le Pen serait la monnaie de singe avec laquelle seraient versées les prestations sociales, les traitements des fonctionnaires et les pensions des retraités. Mme Le Pen offre un choix aux Français : au pire la ruine, au mieux, l’impuissance. Ce n’est pas sérieux.