A une heure et demie de Washington, la petite ville de Front Royal ne manque pas de charme virginien. Alentour, les coteaux verdoyants, les vignobles doucereux et les cottages paisibles attirent les citadins désireux de se ressourcer le temps d’un week-end. Des visiteurs d’un genre particulier s’y rendent aussi comme autant de dévots en quête de sanctuaire. Ils viennent admirer les animaux exotiques hébergés par le zoo national qui est une émanation de l’Institut Smithsonian des ressources biologiques.

Admirer n’est pas le terme approprié. Certes, les animaux sont à Front Royal chez eux et la distance entre ces derniers et les humains n’a jamais été aussi réduite. Mais c’est d’une tout autre approche dont il est question. Ici on étudie, chouchoute, nourrit, compte et surveille à distance les espèces en voie d’extinction comme le tigre de Sumatra ou le zèbre de Grévy qui, lui, a totalement disparu de la Somalie, de Djibouti, de l’Erythrée, du Soudan et dont quelques centaines de bêtes subsistaient en Ethiopie et au Kenya avant que les chercheurs de l’Institut Smithsonian ne viennent à leur secours en s’appuyant sur la collecte de données réalisée par des agents locaux des réserves et des parcs nationaux.

Dernières populations sauvages

Le zèbre de Grévy n’est pas le seul animal natif du continent africain à recevoir pareil traitement. Un de ses cousins pas si éloigné que ça, je veux parler de l’oryx à cou roux ou à cornes en forme de cimeterre, qui a été réintroduit au Sahel avec succès grâce une chaîne de collaboration assez efficace. Le principe est le suivant. Des métadonnées, des graphiques et autres courbes transmises par satellite depuis le Tchad permettent de suivre à la trace les troupeaux d’oryx évoluant à nouveau dans la savane. En Virginie, les chercheurs décortiquent les précieuses informations stockées par les colliers GPS portés par les animaux. Si une femelle se sépare du troupeau pour vêler, ils transmettent aussitôt en quelques clics la bonne nouvelle à leurs collègues tchadiens qui vont partir recueillir la femelle et son nouveau-né.

On retrouve les traces de l’oryx à cou roux, appelé également algazelle dans l’Egypte antique. Il y a des décennies encore, il n’était pas rare de rencontrer de grands troupeaux comprenant plusieurs milliers d’individus dans les steppes semi-désertiques du sud de la Tunisie et de la Libye, ainsi que dans le centre du Niger et du Tchad. La viande, la peau et les splendides cornes, tout chez cet animal attise la convoitise des hommes qui finirent par massacrer les dernières populations sauvages à la fin des années 1980. Les combattants de l’interminable guerre civile tchadienne sont, à cette époque, montrés du doigt. L’espèce a été officiellement classée comme « éteinte » à l’état sauvage à partir de 1988.

En août 2016, un événement inouï a pour théâtre la réserve tchadienne d’Ouadi Rimé-Ouadi Achim, là où précisément les derniers spécimens ont été décimés : vingt-trois animaux élevés en captivité dans le zoo de Front Royal ont été réintroduits dans la nature. Quelques semaines plus tard, un autre troupeau a rejoint le précédent convoi. Certes, les bêtes goûtent aux joies de la liberté, mais elles restent sous haute surveillance grâce à leur collier électronique.

Attendrissement et émerveillement

Pour les scientifiques, le programme de réintroduction est un succès remarquable qui laisse présager d’autres expériences, ailleurs en Afrique. Il y a quelques semaines, Jared Stabach, l’un des chercheurs de l’Institut, affirmait non seulement que les animaux étaient exceptionnellement en bonne santé, mais qu’il avait une bonne nouvelle à transmettre au monde entier : l’équipe venait d’enregistrer la naissance du premier oryx dans la nature. Des antilopes devraient donner naissance à des petits dans les prochains mois, concluait-il tout sourires.

Ces animaux lâchés sur leur territoire d’origine ne sont pas seulement un bon filon pour les réalisateurs de documentaires animaliers. Leur histoire nous attendrit, en touchant notre part enfantine, en remuant ce qui se vit en nous et que nous cherchons à camoufler. Attendrissement certes, mais j’ajoute un autre mot : émerveillement. Nous sommes émerveillés. Des belles images dansent devant nos yeux soudain humides. Et nous voilà, comme par magie, surpris par l’or du crépuscule tombant sur le parc du Serengeti, tandis qu’une meute de félins dévale devant le mur de nos yeux et qu’on devine, là-bas, à vol d’aigle, le mont Kilimandjaro tout au bout de l’horizon.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006) et La Divine Chanson (éd. Zulma, 2015). En 2000, Abdourahman Waberi avait écrit un ouvrage à mi-chemin entre fiction et méditation sur le génocide rwandais, Moisson de crânes (ed. Le Serpent à plumes), qui vient d’être traduit en anglais, Harvest of Skulls (Indiana University Press, 2017).