Les ministres allemands de la défense et de l’intérieur, Ursula von der Leyen et Thomas de Maizière, le 9 novembre 2016 à Berlin. | TOBIAS SCHWARZ / AFP

Elle devait aller aux Etats-Unis. Elle ira finalement en Alsace. A la dernière minute, la ministre allemande de la défense, Ursula von der Leyen (Union chrétienne-démocrate, CDU), a décidé de modifier son agenda pour se rendre, mercredi 3 mai, sur la base d’Illkirch (Bas-Rhin), épicentre d’une affaire dont certains observateurs commencent à dire, outre-Rhin, qu’elle pourrait lui coûter son poste.

Déjà sous pression, ces dernières semaines, après plusieurs révélations concernant des cas de harcèlement moral et d’abus sexuels au sein de la Bundeswehr, Mme von der Leyen fait aujourd’hui face à un nouveau scandale. Son protagoniste : un lieutenant de 28 ans appartenant au 291e Jägerbataillon, une unité d’infanterie basée à Illkirch et faisant partie de la Brigade franco-allemande. Arrêté mercredi 26 avril, alors qu’il effectuait un stage de formation en Bavière, Franco A. est soupçonné d’avoir voulu perpétrer une série d’attentats contre des personnalités politiques de premier plan, parmi lesquelles se trouveraient, selon le quotidien Bild, le ministre social-démocrate de la justice, Heiko Maas, et l’ancien président de la République, Joachim Gauck.

« Mauvais esprit de corps »

Invitée, dimanche, sur la chaîne de télévision ZDF, Mme von der Leyen a évoqué l’existence d’un « mauvais esprit de corps » au sein de l’armée allemande. « La Bundeswehr connaît des problèmes de comportement et il existe manifestement à l’intérieur de celle-ci des faiblesses de commandement. (…) Nous devons examiner avec soin qui est parmi nous, et qui nous ne voulons pas avoir parmi nous », a-t-elle déclaré, faisant allusion à l’indulgence coupable dont aurait bénéficié le lieutenant de la part de ses camarades et de sa hiérarchie, alors que l’attirance de ce dernier pour les idées d’extrême droite était, semble-t-il, connue de son entourage. Selon l’hebdomadaire Der Spiegel, le jeune homme avait même accroché dans sa chambre une affiche représentant un soldat de la Wehrmacht, et possédait également un fusil datant de la seconde guerre mondiale, sur le canon duquel était gravée une croix gammée.

Ursula von der Leyen espérait sans doute que la promptitude et la sévérité de sa réaction seraient mises à son crédit. Or, c’est le contraire qui s’est produit et, depuis dimanche, la ministre est sous le feu de critiques venant, pour les unes, de l’armée elle-même, et, pour les secondes, de ses adversaires politiques.

Au sein de l’institution militaire, ses propos ont ainsi suscité la colère d’Andre Wüstner, le président du puissant syndicat de la Bundeswehr (Deutscher Bundeswehrverstand), une association dont l’objet est de défendre les intérêts des personnels de l’armée auprès des responsables politiques et de l’opinion publique. Pour cet officier, qui s’est dit « consterné » par les propos de la ministre, celle-ci est allée trop loin en sous-entendant qu’il y aurait « dans l’ensemble de la Bundeswehr un problème de commandement et de comportement ».

Au Bundestag, M. Wüstner a trouvé chez les sociaux-démocrates des alliés de circonstance. « Le fait que [Mme von der Leyen] reproche de façon générale à l’armée d’avoir un problème de comportement me stupéfie. Tous les soldats honnêtes se sentent aujourd’hui offensés par elle », a ainsi déclaré Rainer Arnold, porte-parole du groupe parlementaire social-démocrate (SPD) pour les questions de défense. « Quand Mme von der Leyen dit qu’il y a un problème de commandement, on a envie de dire que le commandement commence tout en haut », sous-entendu au niveau de la ministre elle-même, a, pour sa part, commenté Hans-Peter Bartels (SPD), le commissaire aux forces armées du Bundestag.

Double vie

Au sein du gouvernement, Ursula von der Leyen n’est pas la seule à être fragilisée par l’affaire Franco A. Pour son collègue de l’intérieur, Thomas de Maizière, membre, lui aussi, de la CDU, celle-ci est également embarrassante. La raison ? La double vie que menait Franco A., dont on a appris qu’il s’était fait fallacieusement passer pour un réfugié syrien auprès des autorités allemandes, ce qui lui a permis d’obtenir le droit d’asile et de toucher une indemnité mensuelle de 409 euros depuis 2016…

Comment un citoyen allemand ne parlant pas arabe est-il parvenu à se faire enregistrer comme réfugié syrien ? Soucieux, à l’instar de sa collègue de la défense, de ne pas apparaître comme passif face à l’événement, M. de Maizière a demandé qu’une enquête soit ouverte au sein de l’Office fédéral des migrants et des réfugiés, qui dépend de son ministère. « Toute la lumière sera faite afin de savoir comment une telle affaire a pu se produire et, s’il y en a, corriger les défaillances », a indiqué son porte-parole.

A moins de cinq mois des élections législatives du 24 septembre, une chose est claire en tout cas : à la traîne dans les sondages, les sociaux-démocrates semblent bien décidés à se servir de cette affaire pour mettre en difficulté leurs adversaires conservateurs. « M. de Maizière et Mme von der Leyen n’arrivent pas à tenir leurs administrations. Ces ministres mettent en danger notre sécurité », n’a pas hésité à déclarer Katarina Barley, la secrétaire générale du SPD. Des propos qui, parce qu’ils ciblent deux piliers du parti et du gouvernement d’Angela Merkel, n’ont en réalité qu’un objectif : fragiliser la personne même de la chancelière-candidate.