Qu’elle soit sportive, familiale ou utilitaire, Jidéhem aimait la voiture sous toutes ses formes. Combien en dessina-t-il tout au long de sa carrière ? Difficile à dire. A celles auxquelles il consacra des illustrations dans les pages du journal Spirou, il faudrait en effet ajouter toutes celles qu’il glissa dans les planches d’autres dessinateurs, tout particulièrement André Franquin, en tant qu’assistant spécialisé dans les décors. Les repérer n’était pas difficile, ceci étant : qu’il s’agisse ou non de modèles existants, les bagnoles « à la Jidéhem » se reconnaissaient immédiatement par leurs courbes élégantes et l’impression de dynamisme qui se dégageait d’elles.

Dupuis | DUP PATRIMOINE

Décédé dimanche 30 avril à l’âge de 81 ans, Jidéhem signait sous ce pseudonyme créé à partir des initiales de son patronyme : Jean De Mesmaeker, un nom bien connu des lecteurs de Gaston Lagaffe. Lorsque Franquin créa le personnage d’un homme d’affaires acariâtre ne parvenant jamais à faire signer ses contrats, il lui donna, en effet, le nom de De Mesmaeker, Jidéhem ayant remarqué qu’il ressemblait à son propre père, qui exerçait le métier de commercial. On aurait tort, toutefois, de résumer à cette anecdote son apport à la bande dessinée franco-belge. Jidéhem fut même davantage qu’un très précieux collaborateur de Franquin : un auteur à part entière.

Né le 21 décembre 1935 à Bruxelles, Jean De Mesmaeker apprend à dessiner, enfant, en recopiant des aventures de Tintin, avant de suivre les cours de l’Institut Saint-Luc, l’une des plus réputées écoles d’art belges. Très admiratif de Maurice Tillieux, il s’inspire alors de son personnage de Félix pour créer une série policière dont le héros est un détective privé du nom de Ginger. Le premier épisode est publié en 1954, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, en quatrième de couverture du journal Héroic-Albums, dirigé par Fernand Cheneval. La disparition de ce magazine, deux ans plus tard, interrompra par la même occasion les aventures de Ginger. Jidéhem attendra plus de deux décennies pour les reprendre, en 1979, dans Spirou.

Dupuis

C’est d’ailleurs dans Spirou qu’il fera l’essentiel de sa carrière. En 1956, Charles Dupuis, le patron du magazine de Marcinelle (banlieue de Charleroi), l’envoie chez André Franquin qui, débordé par ses multiples séries (Spirou et Fantasio, Gaston Lagaffe, Modeste et Pompon…), a besoin d’un assistant. Le maître va alors lui confier la chronique automobile qu’il tient dans Spirou avec le journaliste sportif Jacques Wauters à travers le personnage de Starter, un jeune mécano-pilote proposant des « essais voiture » à des lecteurs n’ayant pourtant pas l’âge d’avoir le permis de conduire. Jidéhem animera la rubrique jusque dans les années 1980, dessinant des centaines de véhicules.

Dupuis | EXPRESSION@GRAPH_DUPUIS

Même si son style est plus proche de celui de Tillieux que du sien, Franquin a acquis une grande confiance dans ce collaborateur discret, au point d’envisager de lui abandonner Gaston, ce qu’il ne fera pas. Jidéhem se contentera d’aider son mentor dans les décors, mais aussi la mise en place des personnages et le scénario. Plus de 400 gags de Lagaffe seront ainsi co-dessinés par Franquin et Jidéhem jusqu’en 1968. Plus indispensable que jamais, l’assistant sera également mobilisé, à la même époque, sur les aventures de Spirou et Fantasio : il réalisera les décors de nombreux albums cultes de Franquin, tels que Le Nid des Marsupilamis (1960), Le Voyageur du Mésozoïque (1960), Z comme Zorglub (1961) ou QRM sur Bretzelburg (1966).

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Sollicité par d’autres dessinateurs, toujours pour des décors, comme Roba pour la Ribambelle ou Walthéry pour Natacha, Jidéhem parviendra malgré tout à dépasser son statut de « super-assistant ». Alors qu’il a beaucoup misé sur Starter, qui vit ses propres histoires en marge de ses chroniques automobiles, celui-ci va se faire voler la vedette par un personnage secondaire, une petite fille prénommée Sophie, comme sa propre fille, apparue subrepticement dans l’album L’Œuf de Karamazout (1964).

Son principal trait de caractère, la malice, lui est d’un précieux secours pour déjouer les projets d’affreuses crapules s’intéressant de trop près aux prototypes de son papa inventeur. Vingt et un albums suivront, jusqu’en 1995. Jidéhem s’éloignera alors progressivement d’une BD franco-belge en mal de renouvellement, dont il fut l’un des plus précieux artisans.