Le vice-président nigérian Yemi Osinbajo est-il en passe de prendre les rênes du pays ? Celui qui a remplacé le président Muhammadu Buhari durant les huit semaines de son congé maladie à Londres, en ce début d’année, pourrait bien retrouver sa fonction de président par intérim plus vite que prévu, et ce pour une durée peut-être plus indéterminée que la première fois. Des membres de la société civile nigériane se sont unis, mardi 2 mai, pour appeler le président Muhammadu Buhari, 74 ans, à se mettre en congé du pouvoir, assurant que ses problèmes de santé ne lui permettaient plus de diriger le pays.

Dans une lettre ouverte rédigée par treize figures importantes du Nigeria, dont Femi Falana, avocat pour les droits humains, et Jibrin Ibrahim, politologue respecté, les signataires se disent « contraints à lui conseiller de suivre les indications de ses médecins, et de se reposer sans plus attendre ». M. Buhari, qui n’est pas apparu aux deux derniers conseils des ministres, n’assure plus que le service minimum à la présidence depuis son retour en mars. Il a repris ses fonctions, mais avec un agenda largement réaménagé : il ne travaille que deux heures par jour en moyenne. Ses absences répétées au sommet de l’Etat « ont nourri les spéculations et les rumeurs » sur son état de santé, ajoute la lettre datée 1er mai et divulguée sur tous les médias nigérians.

Dossiers les plus délicats

De nombreux hommes politiques de tous bords se sont également inquiétés de la situation de blocage que pourrait causer son absence des affaires s’il ne délègue pas le pouvoir au vice-président, comme le prévoit la Constitution. Le porte-parole de Buhari, Femi Adesina, a refusé de commenter la lettre ouverte. Un autre responsable communication de la présidence, Garba Shehu, a quant à lui simplement rétorqué que le président, malgré sa convalescence, se tenait informé chaque jour des activités du gouvernement, et ce, entre autres, à travers des rencontres avec son vice-président Yemi Osinbajo.

Pendant ce temps-là, Yemi Osinbajo, qui a célébré en mars son soixantième anniversaire, semble bel et bien déterminé à mettre la main sur les dossiers les plus délicats du pays. Fin avril, il rencontre un groupe de parents des lycéennes de Chibok, enlevées par le groupe terroriste Boko Haram il y a désormais plus de trois ans. Le vice-président assure travailler quotidiennement pour la libération des lycéennes. De nombreuses négociations seraient en cours, a-t-il alors affirmé, et ce « avec les deux factions de Boko Haram, chacune des deux détenant une partie des filles ».

Muhammadu Buhari et son futur vice-président, Yemi Osindajo sur une affiche de campagne électorale en avril 2015 pour la présidentielle nigériane. | Akintunde Akinleye / REUTERS

Après un succès notoire à la mi-février avec l’engagement de négociations avec les rebelles de la région pétrolière du delta du Niger qui revendiquent une meilleure redistribution des richesses du pétrole, le vice-président continue sur sa lancée en rencontrant en personne de nombreux dirigeants régionaux et communautaires. Osinbajo a su apaiser, momentanément, une situation explosive. Début avril, il annonçait en outre son intention de légaliser les raffineries illicites, objets de discorde dans ce hub pétrolier où s’affrontent rebelles indépendantistes et sociétés pétrolières internationales, sans préciser quand il mettra le plan en action.

« C’est un flamboyant académicien à la rhétorique surdimensionnée. Il excelle dans l’exercice de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre »

Mais l’accalmie aura été de courte durée. Peu de temps après l’annonce, le delta du Niger a été animé par de nouvelles turbulences. Le 13 avril, l’armée nigériane annonçait avoir détruit treize raffineries illégales lors d’une opération au cours de laquelle deux soldats ont perdu la vie suite à des affrontements avec des rebelles. Pour certains observateurs nigérians, Yemi Osinbajo a trompé ses interlocuteurs dans le Delta avec des promesses utopiques : « C’est un flamboyant académicien à la rhétorique surdimensionnée. Il excelle dans l’exercice de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre », estime Egufe Yafugborhi, éditorialiste au quotidien Vanguard.

Lutte contre la corruption

Il faut dire qu’avant de se lancer dans la politique, Yemi Osinbajo, diplômé de la prestigieuse London School of Economics, a mené une longue carrière d’avocat et de professeur de droit à l’université de Lagos. En 1999, il fait ses débuts en politique en tant que ministre de la justice de l’Etat de Lagos, puis renoue, en 2007, avec sa carrière d’académicien. Il se rapproche de Buhari six ans plus tard, en 2013, lorsqu’il signe avec d’autres auteurs le manifeste du congrès des progressistes (APC), le programme politique ayant servi de base à la campagne présidentielle de Muhammadu Buhari. Dès fin 2014, séduit par l’engagement de Buhari dans la lutte contre la corruption, Osinbajo accepte d’être désigné candidat à la vice-présidence du pays aux côtés de l’ancien général.

Originaire de Lagos, Yemi Osinbajo a grandi dans une famille chrétienne très pratiquante, attachée aux valeurs cardinales. Sa mère, Olubisi Osinbajo, se souvient dans une interview pour le journal Punch des raisons pour lesquelles elle avait épousé Opeoluwa Osinbajo, le défunt père du vice-président : « Il n’était pas riche, mais je l’admirais pour ses autres qualités. » Ingénieur civil, le père a géré une entreprise de scierie avec son épouse, enseignante de formation. Ensemble, ils ont élevé cinq enfants dans les préceptes de l’Eglise anglicane : « La culture de la prière était enracinée en eux dès leur jeunesse », indique Mme Osinbajo. Ce n’est donc pas un hasard si Yemi Osinbajo est par la suite devenu pasteur évangélique.

« Son père n’a jamais aimé les politiciens. Il disait qu’ils étaient tous des menteurs »

Le père, décédé en 1996, n’aurait sans doute pas cautionné l’ascension politique de son fils : « Opeoluwa n’a jamais aimé les politiciens. Il disait qu’ils étaient tous des menteurs et tenait à garder ses distances », confiait en janvier la mère du vice-président dans un entretien avec le Church Times Nigeria. « Je ne l’aurais jamais imaginé mon fils devenir le vice-président du Nigeria, parce que nous ne sommes pas des politiciens, je ne m’y attendais pas. Mais je ne me fais pas de souci pour mon fils, car je sais que c’est Dieu qui l’a choisi. »