Claude Guéant a été auditionné mercredi 3 mai à Bruxelles par la commission d’enquête parlementaire concernant le scandale du « Kazakhgate ». | BENOIT DOPPAGNE / AFP

Il est venu dire « sa » vérité. L’ancien secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, a été entendu mercredi 3 mai par une commission d’enquête parlementaire belge, dans le cadre de l’affaire du « Kazakhgate ». Derrière cette appellation, un scandale qui renvoie aux zones d’ombre de l’ère Sarkozy et de la diplomatie économique au sommet des Etats français et belge.

Vente d’hélicoptères et soupçons de rétrocommissions

La justice française s’intéresse, depuis le printemps 2012, à une affaire susceptible d’impliquer l’ancien chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, ainsi que plusieurs de ses proches collaborateurs.

Deux juges d’instruction parisiens, Roger Le Loire et René Grouman, saisis de faits de « blanchiment en bande organisée », « corruption d’agents publics étrangers », « complicité et recel » de ces délits, explorent les dessous de contrats signés en 2010 entre la France et le Kazakhstan, pour près de 2 milliards d’euros. Ces marchés, incluant la fabrication de 45 hélicoptères EC45 par Eurocopter, devenu depuis Airbus Helicopters, sont susceptibles d’avoir donné lieu au versement en France de rétrocommissions.

Une rétrocommission, pratique illégale, consiste pour le vendeur à offrir plus de commission que nécessaire, pour ensuite récupérer à son profit, de la part de l’intermédiaire, une partie des sommes engagées par l’Etat.

Dans le cas présent, c’est Tracfin, l’organisme anti-blanchiment d’argent, qui a signalé des mouvements de fonds suspects sur les comptes d’un ancien préfet, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Jean-François Etienne des Rosaies. Tracfin s’interrogeait sur l’origine de plus de 300 000 euros.

Lire (en édition abonnés) : Le Kazakhgate : une affaire d’Etat

Trois hommes d’affaires kazakhs et une loi opportune en Belgique

Rapidement, les enquêteurs soupçonnent en outre que pour conclure la vente de ces 45 hélicoptères par la France au Kazakhstan, l’Elysée a fait pression, en amont, sur le Sénat belge afin d’obtenir une loi sur la transaction pénale : une manière de chercher à adoucir le sort judiciaire de trois hommes d’affaires d’origine kazakhe poursuivis en Belgique – Patokh Chodiev, Alexandre Machkevitch et Alijan Ibragimov, poursuivis pour association de malfaiteurs et blanchiment, dans le cadre des transactions immobilières.

Ces trois oligarques, proches du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, ont finalement échappé aux poursuites et à une éventuelle condamnation en échange du versement de 23 millions d’euros, grâce à un amendement voté précipitamment en 2011 par le Parlement belge. Les enquêteurs soupçonnent que cette clémence judiciaire aurait été la condition de la signature des imposants contrats entre Paris et Astana.

Enquêtes en France et en Belgique

Le « Kazakhgate » comprend donc plusieurs volets, et concerne plusieurs pays.

En France, l’information judiciaire, ouverte en 2013, se poursuit, et s’intéresse à plusieurs personnes de l’entourage de Nicolas Sarkozy. Deux intermédiaires et une avocate niçoise, suspectés d’avoir permis le versement des rétrocommissions, ont été mis en examen en septembre 2014.

Jean-François Etienne des Rosaies, chargé de mission à l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, a également été mis en examen en mars 2015 pour « corruption publique d’agent étranger », puis ce fut le cas d’Aymeri de Montesquiou, ancien sénateur du Gers et ex-représentant de Nicolas Sarkozy en Asie centrale, pour « corruption passive par personne exerçant une fonction publique » et « complicité de blanchiment en bande organisée ».

En Belgique, une information judiciaire a été ouverte en 2014, et plusieurs perquisitions ont eu lieu au Parlement fédéral. Plusieurs personnalités politiques de premier plan sont impliquées, notamment Armand De Decker, président du Sénat belge en 2011, soupçonné d’avoir touché plus de 700 000 euros dans cette affaire.

Une commission d’enquête parlementaire a également été lancée début 2017 : c’est devant elle que Claude Guéant a témoigné mercredi matin, au terme d’une invitation et non d’une convocation. « Dans les fonctions que j’ai exercées, je n’ai jamais pu observer de manquement dans la loi, que ce soit en France ou en Belgique », a affirmé l’ancien ministre de l’intérieur français.

« Une affaire d’Etat », pour les socialistes flamands

L’affaire fait toutefois trembler la sphère politique belge. Quelques heures avant l’audition de ce proche de Nicolas Sarkozy, la presse belge s’est fait l’écho d’une carte manuscrite rédigée par Claude Guéant en août 2011 à l’intention d’Armand De Decker. Sur ce carton, à en-tête du ministère de l’intérieur français et adressé à un conseiller diplomatique à l’Elysée, il est écrit :

« Cher Damien, j’ai eu A. De Decker au téléphone. C’est vrai que lui et son équipe ont fait un magnifique travail qui ne peut que servir les intérêts de la France… Mon souci maintenant est très prosaïque : c’est que les avocats qui ont travaillé pour Chodiev soient maintenant rémunérés… Pouvez-vous toucher ou faire toucher Chodiev ? Amitiés, CG. »

Le président de la commission, le socialiste flamand Dirk van der Maelen, a estimé mercredi matin sur La Première (RTBF) être face à « une affaire d’Etat » consistant à « faire une loi sur mesure pour trois criminels ». « Grâce aux fuites dans la presse, on est en route pour pouvoir prouver cela », a-t-il souligné.

« Kazakhgate » : « Le début d'une affaire d'Etat importante »
Durée : 03:08