On se dit souvent qu’une rencontre peut changer une vie. Et pourquoi pas un diplôme universitaire ? Zoom sur des DU qui ont changé le ­regard des participants sur leur quotidien ­professionnel ou fait voler en éclats leurs certitudes.

Avoir un autre regard sur les conflits religieux

« Comment prévenir la violence ? Que faire en cas de conflit ? Comment la ­société dans son ensemble peut travailler sur ces questions ? » C’est pour trouver des réponses à ces interrogations que Vadim Roncayolo, 26 ans, a décidé ­de retourner sur les bancs de la fac, deux ans après avoir obtenu son ­diplôme d’éducateur.

Ils sont une quinzaine – fonctionnaires territoriaux, élus, personnels hospitaliers… – à préparer, chaque année depuis 2013, un DU de médiation socioreligieuse, piloté par la Faculté libre d’études politiques et en économie solidaire ­(Flepes-Initiatives), en partenariat avec l’université de Strasbourg.

« Tous viennent chercher des outils pour comprendre et dénouer les conflits auxquels ils sont confrontés, explique Isabelle Ullern, philosophe et doyenne de la ­Flepes. Des conflits de plus en plus souvent liés à des revendications religieuses. » La formation se divise en deux parcours : un niveau licence pour les animateurs et ­intervenants de terrain, et un niveau master pour les cadres. Au programme : des cours d’éthique ainsi que sur les différentes religions monothéistes, avec une approche historique et européenne.

« L’objectif n’est pas de former des ­experts mais des acteurs instruits sur le plan légal, moral et religieux », ajoute ­Isabelle Ullern. Les cours sont construits à partir des situations rencontrées par les participants. Elles sont analysées, puis font l’objet d’une médiation. « A travers ces cas pratiques, nous rappelons les principes de la laïcité en mettant l’accent sur ses conséquences, et en insistant bien sur le fait qu’elle est un principe de droit, pas une morale », précise la philosophe.

C’est cet aspect concret qui a plu à ­Miloud Belarbi, 42 ans. « J’avais les ­connaissances théoriques, mais j’étais à la recherche d’outils méthodologiques pour mener à bien une médiation », témoigne cet éducateur de formation à la tête d’une société de conseil sur les questions de laïcité et de radicalisation. Le DU lui a aussi permis de « mieux connaître la ­religion protestante et de mesurer ses points communs avec la religion musulmane ». « Au cours de l’année, on voit les étudiants évoluer, confirme Isabelle ­Ullern. Certains opèrent un véritable ­décentrement identitaire. »

Apprendre à mieux connaître les patients

Le DU en éducation thérapeutique de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) à Paris s’inscrit dans le travail qui consiste à donner aux personnes souffrant d’une maladie chronique les moyens de mieux connaître leur pathologie, pour en gérer les conséquences et améliorer leur quotidien.

Créé en 2009, ce cursus fait partie de l’« université des patients », un pôle de l’UPMC ouvert aux usagers du système de santé comme aux médecins, infirmiers ou psychologues. Les malades ou anciens malades ont ainsi la possibilité de devenir des « patients experts ».

« Engagée de longue date dans la lutte contre le sida, j’avais observé que beaucoup de malades désiraient transformer leur expérience en expertise sanitaire au profit de la collectivité », explique la fondatrice de ces cursus, Catherine Tourette-Turgis, professeure à l’UPMC. A travers les jeux de rôle et débats qui ponctuent la formation, les soignants « découvrent une part de vie qui échappe à la consultation », tandis que les patients transforment une rupture personnelle en nouveau départ. A l’image de Laure Guéroult-Accolas qui a souffert d’un cancer du sein. « Cela m’a permis de raccrocher ma casquette de ­patiente à mon identité professionnelle », raconte la présidente de l’association ­Patients en réseau. Pour combler l’isolement dont elle-même avait souffert face à la maladie, cette pharmacienne de formation, reconvertie dans les études de marché et la communication, a eu l’idée, en 2014, de lancer une communauté en ­ligne alliant espaces de discussion, carnet d’adresses et parcours d’information autour du cancer du sein. « C’est ainsi que j’ai connu l’université des patients. Le fait d’y participer m’a permis de prendre conscience de toutes les compétences que j’avais acquises au travers des épreuves de la maladie. » Et d’en faire une force.

De son côté, Héloïse Martel, une diététicienne diplômée en 2015, n’aborde plus ses consultations sous le même angle. « La formation m’a permis d’affiner mes capacités d’écoute pour mettre à l’aise les patients, les aider à envisager de nouvelles pistes. » Elle ne regrette pas d’avoir fait le déplacement, chaque mois, pendant un an, de l’Espagne jusqu’à Paris pour passer deux jours sur les bancs de la fac, et sans rompre ses engagements professionnels.

Depuis la création du DU, quatre-vingt malades ont été diplômés. Un chiffre qui devrait augmenter avec l’ouverture de deux nouveaux parcours consacrés à la formation des représentants d’usagers et à l’accompagnement en cancérologie.

Changer de perspective sur la fin de vie

Aider les personnes en relation avec des « grands malades » à aborder la question de la fin de vie : tel est l’enjeu du DU ­« accompagnement en fin de vie et soins palliatifs » de l’université de Montpellier. Parmi les élèves, on trouve des assistantes sociales, des kinésithérapeutes, des ­médecins, des employés administratifs, des bénévoles en soins palliatifs… Et de nombreuses infirmières. C’est le cas de Sandrine Imbert. Pendant ses études, elle constate qu’elle a appris à soigner, mais pas à annoncer à un patient qu’il ne guérira pas. « L’échec thérapeutique n’est pas vraiment traité, regrette-t-elle. Avant de commencer le DU, je n’osais pas aborder la question de la mort avec les patients. » A l’époque, elle travaillait comme infirmière de jour dans une clinique privée. Elle n’avait ni le temps ni les réponses pour ses patients en phase terminale. Elle ne savait pas davantage comment réagir aux questions de l’entourage. « Frustrée par la situation », Sandrine Imbert ­demande à sa clinique une formation en soins palliatifs. En parallèle de son DU, elle fait en sorte de travailler de nuit pour passer plus de temps avec les personnes malades, car, « quand les familles sont parties, les angoisses ressortent », souligne-t-elle. Sa formation à l’université lui a donné confiance. « Je prends le temps d’écouter les patients, car j’ai appris à le faire. » Elle peut aussi les conseiller sur des sujets très pratiques, comme le retour à domicile de ceux qui se savent condamnés.

Le diplôme met l’accent sur la pluridisciplinarité. On y aborde aussi bien l’éthique (l’acharnement thérapeutique ou l’euthanasie) que la psychologie (le trauma de l’annonce) ou les questions administratives liées à l’accompagnement de la fin de vie. Les élèves apprennent également à se confronter à leurs propres angoisses et à leurs émotions plutôt que de les éviter.

Après son DU, Sandrine Imbert a intégré un réseau de professionnels accompagnant les personnes en soins palliatifs et en fin de vie à domicile. Elle trouve désormais un nouveau sens à son travail. « Je me sens plus épanouie, plus utile, ­explique-t-elle. Avant je donnais des soins, mais je donnais peu au niveau relationnel ou psychologique. Ce que je fais aujourd’hui m’apporte davantage à moi, aux patients et à leur entourage. »

Comprendre les logiques de l’exclusion

En 2015, Camille Ruiz-Ballesteros, 34 ans, a suivi le diplôme interuniversitaire (DIU) « santé, précarité » de l’université de Lorraine. « J’avais des idées en tête, mais je n’arrivais pas à les mettre en pratique. J’avais besoin de passer par une formation », explique-t-elle. A peine son diplôme en poche, Camille Ruiz-Ballesteros se lance dans le projet dont elle rêvait : créer, avec son association Initiative ­Catering, une « conserverie ambulante » aménagée dans un camion, qui ira sur les lieux de distribution de l’aide alimentaire« pour éviter le gaspillage des surplus ­de légumes et préparer des bocaux cuisinés et de qualité ». Un projet dans la continuité des ateliers de cuisine à destination des publics précaires que propose déjà l’association.

Dispensé en partenariat avec Médecins du monde, ce DIU a un double ­objectif : faire comprendre les processus menant à la précarité et étudier les dispositifs qui y répondent. Durant six mois, les élèves suivent quarante heures de cours en ligne – sur le concept d’exclusion, les inégalités sociales de santé, les politiques publiques… –, ainsi que sept modules d’une journée, alternativement à l’école de santé publique de Nancy et à la faculté de médecine de l’université de Strasbourg. Les étudiants – internes en médecine, travailleurs ­sociaux, infirmiers, fonctionnaires… – suivent un stage d’une semaine minimum et rédigent un mémoire.

Camille Ruiz-Ballesteros a fait son stage dans une épicerie solidaire rurale et son mémoire a porté sur la conservation des aliments et « ses enjeux de santé au sein de l’aide alimentaire ». « Mener ainsi des recherches a été très stimulant, reconnaît la jeune femme de La Rochelle. Les enseignements m’ont en plus ouvert à d’autres problématiques, comme celles des toxicomanes ou des personnes incarcérées. »

Cette année, la formation a dû être ­annulée faute de participants, seulement cinq inscrits pour un seuil minimal de dix. « Le problème, c’est la baisse des fonds de la formation continue pour les travailleurs sociaux et les administrations, regrette André Calvert, coordinateur pédagogique pour Médecins du monde. C’est dommage, car il est important aujourd’hui de faire comprendre combien l’accès aux soins peut être difficile dans la France périphérique. » Jacques Kopferschmitt, responsable de la formation à la faculté de médecine de Strasbourg, déplore que « la fibre sociale chez les professionnels de santé soit souvent faible ». « Il faut croire que la précarité fait peur », ajoute-t-il. Loin d’être découragée, l’équipe est en pleine campagne de ­recrutement pour l’année prochaine.