La fête est finie. Après sept années de croissance ininterrompue, le marché automobile américain est en train de se retourner doucement mais sûrement. Les immatriculations ont encore baissé en avril de 4,7 % par rapport à la même période de 2016 à 1,43 million de véhicules. Il s’agit du quatrième mois de baisse depuis le début de l’année. La question consiste à savoir s’il s’agit d’un simple passage à vide ou bien d’une baisse plus durable d’un marché qui constitue l’un des piliers de la croissance américaine avec l’immobilier.

Si la situation n’est pas encore alarmante, elle nécessite d’être surveillée de près, selon Bertrand Rakoto, un analyste indépendant basé à Detroit. « Les deux dernières années ont été exceptionnelles, grâce à une conjoncture porteuse, mais aussi à cause d’un effet rattrapage après la perte de plus de 10 millions de ventes depuis la crise de 2008. Cet effet est clairement en train d’arriver à son terme », explique-t-il.

Une politique de rabais très agressive

Le rythme annuel des ventes de voitures est tombé en avril à 17,1 millions, contre 17,4 millions sur la même période de l’année précédente. Mais si la baisse n’est pas spectaculaire, c’est parce que les constructeurs soutiennent artificiellement le marché grâce à une politique de rabais très agressive. La ristourne moyenne accordée aux clients atteint désormais 3 499 dollars (3 211 euros) par véhicule, selon le cabinet J.D. Power, un niveau proche de celui d’avant la crise de 2008. Certes, le phénomène touche plus les berlines que les gros SUV ou pick-up, dont les ventes continuent à profiter du bas prix de l’essence. Mais, aujourd’hui, à peine a-t-on passé le pas-de-porte d’une concession Chrysler qu’on vous propose une ristourne de 20 % sur la Dodge Charger. Sur d’autres modèles, qui ont du mal à s’écouler, les offres de leasing à partir de 69 dollars par mois ne sont pas rares.

Ces conditions commerciales s’expliquent par le fait que les parkings des concessionnaires sont saturés. Ils doivent gérer aujourd’hui plus de soixante-dix jours de stocks, selon J.D. Power. Pour retrouver une telle situation, il faut remonter à 2009. Le record est sans doute détenu par la Buick LaCrosse (General Motors, GM). Les stocks sur ce modèle atteignent actuellement trois cent quarante jours, alors qu’il a été lancé il y a moins d’un an. Sur l’ensemble de ses gammes, GM a plus d’un million de véhicules invendus en stock. « Les prévisions de marché ont été trop optimistes et les constructeurs n’ont pas suffisamment anticipé le ralentissement en réduisant leurs cadences de production », souligne M. Rakoto, qui estime que tôt ou tard les groupes automobiles devront réduire la voilure dans les usines.

A l’origine du ralentissement, un pouvoir d’achat qui a du mal à décoller malgré la faiblesse du chômage. « Honnêtement, l’Américain moyen ne vient pas dans une concession pour acheter une voiture neuve, confie Steven Szakaly, économiste pour l’Association nationale des concessionnaires à l’agence Bloomberg. Nous ne vendons des voitures neuves qu’à 5 % de la population américaine. » Malgré les ristournes, le prix d’une voiture neuve reste largement dissuasif pour une majorité d’Américains.

Une explosion du marché des subprimes dans l’automobile

Le problème a été contourné ces dernières années par des conditions de crédit très accommodantes. L’encours total de ces prêts représente désormais 1 160 milliards de dollars, du jamais-vu. Plus inquiétant encore, c’est la dégradation de la solidité des emprunteurs. Les constructeurs automobiles et les banques se sont également lancés à corps perdu dans les subprimes, ces prêts accordés à des ménages peu solvables.

Les organismes de crédit se sont, en effet, rendu compte pendant la crise que si les gens rechignaient à rembourser leur prêt hypothécaire, quitte à se faire saisir leur maison, ils continuaient à payer les traites sur leur voiture, outil indispensable pour pouvoir continuer à travailler. Du coup, le marché des subprimes dans l’automobile a explosé.

Mais la stratégie a atteint ses limites. Fin 2016, la Réserve fédérale de New York alertait sur le fait que 6 millions d’Américains n’arrivaient plus à rembourser leur crédit auto dans les délais. Le montant des prêts en situation de défaut a ainsi atteint son plus haut niveau depuis 2008 à 23,27 milliards de dollars. Le crédit auto moyen vient de battre son record à 30 621 dollars, selon le cabinet Experian.

Enfin, la durée des prêts ne cesse de s’allonger : les crédits sur sept ans représentent désormais le tiers du marché. La situation n’est pas prête de s’arranger avec la remontée des taux d’intérêt aux Etats-Unis, qui va inévitablement peser sur le marché automobile. Si la fête est finie, il s’agit désormais d’éviter la gueule de bois.